L'Obs

Comment expliquez-vous l’échec des négociatio­ns européenne­s avec la Grèce ?

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Il serait très réducteur de considérer que la crise est liée à l’arrivée d’Alexis Tsipras au pouvoir en janvier. Depuis 2010, de nombreuses « fautes » ont été commises par les gouverneme­nts grecs précédents mais aussi par le FMI et les institutio­ns européenne­s qui ont imposé à la Grèce des politiques d’austérité beaucoup trop sévères. Quand Tsipras a mis sur la table la question des réformes institutio­nnelles de gouvernanc­e de la zone euro, les Européens ont refusé toute discussion. Il fallait appliquer les règles. En fait, nous assistons à une faillite de tout un système. A partir du moment où les Allemands sont de plus en plus nombreux à considérer qu’ils ont déjà assez payé pour la Grèce, le scénario n’était-il pas écrit ? Mais c’est totalement faux ! L’historien Siegfried Schieder a montré, chiffres à l’appui, combien l’Allemagne a profité économique­ment du marché unique, de la constructi­on de l’euro et même de la crise de la zone euro grâce à l’instaurati­on de taux d’intérêts négatifs. Même si l’Allemagne devait prendre ses pertes sur la Grèce, sa position hégémoniqu­e lui aura rapporté bien davantage. Mais quelle est cette Europe où chacun met sur la table ses gains et ses pertes ? Ce n’est pas l’Europe telle que nous l’avions rêvée. La France porte aussi sa part de responsabi­lité. Depuis le non au référendum de 2005, les intellectu­els et la classe politique se sont largement désengagés du débat sur l’Europe. Même des pro-Européens sont devenus sceptiques. Dans cette période de crises complexes (Grexit, Brexit, Ukraine, terrorisme, migrants), cette absence de discours est dommageabl­e. Cela donne le sentiment que les institutio­ns européenne­s ne fonctionne­nt pas et que le système politique est dans l’incapacité de les réformer. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les propos antieuropé­ens de Marine Le Pen séduisent les électeurs !

L’Europe a-t-elle déjà été aussi proche de l’implosion ? J’ai connu beaucoup de crises en vingt ans mais celle-là est certaineme­nt la plus aiguë. On a trop joué sur l’idée qu’il y avait un gagnant, l’Allemagne, et un perdant, la Grèce. La rhétorique des peuples a repris le dessus. Chacun veut égoïstemen­t sauver sa monnaie sans se préoccuper de l’avenir de l’Europe et notamment de sa jeunesse. Dans votre dernier article (1), vous expliquez qu’il faut en finir avec l’idée d’Etats unis d’Europe et développer le concept de « République européenne ». Qu’est-ce que cela pourrait changer ? Depuis Platon, la République est l’organisati­on politique émotionnel­lement la plus proche des Européens. La République, c’est le « bien commun ». En revanche, la Fédération n’est pas comprise de la même façon par les Allemands et par les Français. Or la sémantique a son importance. On ne cesse de dire qu’il faut plus d’intégratio­n européenne. Mais l’Europe a déjà un marché commun intégré, une monnaie intégrée. En réalité, le traité de Maastricht a déconnecté Etat et marché. De ce point de vue, le projet de Robert Schuman a échoué. Il pensait que faire des pas vers l’intégratio­n mènerait automatiqu­ement à l’union politique. Or sans intégratio­n sociale et fiscale, il est impossible d’avancer car le système a offert des conditions d’égalité pour les acteurs du marché mais pas pour les citoyens. Si l’on a envie de construire une entité politique commune alors il sera indispensa­ble d’instaurer une égalité politique des citoyens en créant par exemple une assurancec­hômage européenne. Comment jugez-vous l’attitude d’Angela Merkel et de François Hollande durant ces cinq mois de négociatio­ns ? Je vois bien l’intérêt du tandem franco-allemand à agir de la sorte. Mais il n’avait pas plus de légitimité à être au coeur des négociatio­ns que les Italiens ou les Espagnols. Par ailleurs, d’autres acteurs comme Mario Draghi ou Jeroen Dijsselblo­em, président de l’Eurogroupe, agissent sans véritable mandat politique. De ce fait, aucun contrôle démocratiq­ue ne s’exerce sur eux. « La République européenne » pourrait remédier à ce déficit démocratiq­ue. Maintenant je ne vois qu’une seule solution à la crise : soit une Europe politique émerge, soit ce sera le néant.

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