L'Obs

Comment joue-t-on un roi ? Comme un homme normal ?

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L. E. En allemand, on dit que ce sont les autres qui jouent le roi. Si on le joue soimême, on ne l’est pas. Tous les hommes aspirent au pouvoir pour cesser d’avoir peur. L’histoire de Richard III prouve qu’ils ont bien tort. Celui qui est en haut a peur de luimême, mais aussi de ceux qui sont en bas. En fait, le roi est la personne la plus seule au monde qui soit. Ph. G. Je vois Lear comme un homme aveuglé par la toute-puissance, par l’« hybris », l’orgueil démesuré qui attire la colère des dieux grecs. C’est une fable très grecque. C’est quand il devient fou que Lear renaît – trop tard – à l’humanité. L. E. Je voudrais poser une question à Philippe Girard. Dans tous les rôles que j’interprète, j’essaie de trouver le personnage en moi. Or, Lear est sur le déclin. Comment peuton créer un personnage en fin de vie quand on en est aussi loin que vous ? Ph. G. Au théâtre, l’âge n’est pas fait de réalité. Antoine Vitez, mon maître, disait qu’il faut rêver la vieillesse à 20 ans. Olivier Py aussi pense que l’âge n’a aucune importance. Et quand on vous propose le rôle de Lear, vous acceptez, croyez-moi, même si vous êtes encore en forme. Stéphane Braunschwe­ig attendait que j’aie 60 ans pour me le faire jouer, je n’ai pas patienté jusque-là. J’ai d’ailleurs souvent vu Lear incarné par des acteurs trop âgés, et là ça devient parfois plus pathétique que tragique.

Vous êtes-vous vieilli artificiel­lement ? Ph. G. Je ne porte ni perruque ni barbe, si c’est le sens de votre question. On verra Girard tel qu’en luimême. Je suis bien assez fou comme ça ! Shakespear­e, c’est le plus grand de tous, le maître auteur ? L. E. Absolument. Pas besoin des autres. Pour le comédien, c’est très particulie­r : chaque émotion, chaque pensée est stimulée par les mots. Ph. G. J’aime passionném­ent Shakespear­e, mais aussi Corneille (plus que Racine) et Claudel, les Mozart ou les Picasso de la littératur­e. Sans oublier Eschyle, notre père à tous, dont j’ai joué toutes les pièces. Ce n’était pas di cile : il n’en reste que sept. Deux mille cinq cents ans avant les autres, il a tout inventé. Si j’ai arrêté les études supérieure­s qui devaient me conduire à devenir prof, c’est parce que j’avais envie de mettre le poème en action et que le théâtre est le seul endroit qui permet de le faire. Tous les textes que j’ai choisis depuis trente-cinq ans sont des poèmes. Quand ils manquent de force, ils me tombent des mains. « Le Roi Lear », lui, est un poème d’une extrême puissance.

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Philippe Girard

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