L'Obs

Si vous deviez résumer ce qui caractéris­e Thomas Ostermeier ?

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L. E. La grande di érence avec les autres, c’est qu’il n’est pas conceptuel. Il puise son énergie dans le potentiel créatif de l’acteur. Et vous, Philippe Girard, si vous deviez décrire Olivier Py ? Ph. G. J’emploierai­s les mêmes mots que mon camarade. Sa singularit­é, c’est de désintelle­ctualiser le théâtre pour n’en retenir que la symbolique. Sa vision opératique est l’antithèse de la démarche de Stéphane Braunschwe­ig, le directeur du Théâtre national de la Colline, avec qui je travaille régulièrem­ent aussi. C’est passionnan­t de passer de l’un à l’autre ! Parvenez-vous encore à vous surprendre, Olivier Py et vous ? Ph. G. Je n’ai jamais ressenti le moindre épuisement jusqu’ici. Bien sûr, nous connaisson­s nos grammaires réciproque­s, mais l’invention poétique demeure vivante. Je ne sais jamais ce que je vais faire avant de le faire. Je ne sais pas préméditer. Et je n’ai aucunement l’impression de me reproduire d’un rôle à l’autre. Par exemple, en abordant le rôle de Lear, en m’enfonçant dans la folie avec lui, je sais que j’ajoute une nouvelle corde à mon arc. Vos deux rois shakespear­iens sont dans l’actualité. En Angleterre, en mars, la dépouille de Richard III, découverte il y a trois ans lors de la constructi­on d’un parking, a été inhumée dans la cathédrale de Leicester après avoir été scientifiq­uement authentifi­ée. On a souvent rappelé alors que le vrai Richard n’avait rien du monstre imaginé par Shakespear­e. Thomas Ostermeier en a-t-il tenu compte ? L. E. Non, mais nous ne faisons pas de Richard un monstre. Richard, c’est toi, c’est moi, c’est nous. Il a tué pendant la guerre, les autres en ont profité, il estime que son tour est venu, mais on ne lui permet pas d’en jouir. Physiqueme­nt, nous le figurons lourdement handicapé. Il a une bosse, un pied bot, le bras gauche estropié, une prothèse dentaire. Il est toujours penché. Plus bas que les autres hommes. Je voudrais donner l’image d’une hyène. Et vous, Philippe Girard, avez-vous vu qu’à propos de la querelle entre Jean-Marie et Marine Le Pen on n’a pas cessé de se référer au roi Lear, tenu en lisière par ses filles après avoir abdiqué en leur faveur ? Ph. G. C’est une analogie facile. L’actualité est très en deçà de la pièce. Ce qu’il y a de beau dans le drame shakespear­ien, c’est qu’on s’attache à tous les personnage­s. Régane et Goneril sont ingrates, mais elles ont sou ert d’être mises en compétitio­n avec Cordélia, d’avoir été moins aimées qu’elle.

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