L'Obs

Duteurtre se fait un rail

PAR BENOÎT DUTEURTRE, PAYOT, 112 P., 14 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Ceux qui aiment Duteurtre prendront le train. Mais pas ceux d’aujourd’hui. L’auteur du « Voyage en France », mécontempo­rain devant l’Eternel, juge en e et que la SNCF déraille. Sa nostalgie des bu ets de gare se nourrit de sa détestatio­n des Starbucks Co ee. La disparitio­n, au nom de la rentabilit­é, des wagons-lits ou des wagons-restaurant­s ajoute à sa colère. Même la suppressio­n, par mesure de sécurité, des consignes automatiqu­es, qui firent autrefois le bonheur des auteurs de polars, le rend chagrin. Benoît Duteurtre, 55 ans, n’aimait pas seulement une certaine et romanesque lenteur, le protocole théâtral des passages à niveau, respirer le parfum de l’herbe fauchée en ouvrant les vitres, le si et impérieux du chef de gare, il aimait aussi, et surtout, l’idée vilarienne du service public. Or, à en croire son libelle formidable­ment argumenté, nos chemins de fer roulent droit vers la privatisat­ion, à l’image des salles des pas perdus transformé­es, les unes après les autres, en galeries commercial­es géantes.

Habitué de la gare Saint-Lazare, qui le conduit régulièrem­ent dans sa Haute-Normandie natale, où seuls pénètrent les vieux TER, le romancier de « Service clientèle » est bien placé pour savoir que les lignes à grande vitesse ont définitive­ment déclassé les réseaux secondaire­s où des rames épuisées transporte­nt, à pas d’heure, c’est-à-dire souvent avec des retards chroniques, des passagers méprisés et déprimés (il comptait 1h50, dans les années 1980, pour aller de Paris au Havre, il lui faut aujourd’hui 2h15). Duteurtre n’est pas un ennemi du TGV, cet A 380 sans ailes, il a seulement une pensée émue pour tous ceux que, sur les rails, les Eurostar, Thalys et autres Lyria n’en finissent pas d’écraser. D’ailleurs, les gares ne sont plus des gares, ce sont des aéroports en centre-ville. Et les trains, avec leurs « chefs de bord », leurs réservatio­ns obligatoir­es et leurs o res low-cost, obéissent aux mêmes lois que l’aviation, soumise au marché de la concurrenc­e.

L’arrière-petit-fils du président Coty, héritier de Philippe Muray et auteur de « Requiem pour une avantgarde », dont nul n’ignore qu’il préfère l’opérette au dodécaphon­isme de Boulez et Balzac à Robbe-Grillet, poursuit donc, avec la SNCF, cette version ferroviair­e de l’Ircam, sa satire du monde moderne, tandis que le romancier des « Pieds dans l’eau » sacrifie à la mélancolie de l’OrientExpr­ess ou du Transsibér­ien, de la campagne qui défile et du progrès qui lambine. On en conseille la lecture, cet été, à tous les usagers des trains, qu’ils soient vétustes ou futuristes. Et on rappelle que l’étiquetage des livres n’est pas encore obligatoir­e. Mais ça viendra.

Newspapers in French

Newspapers from France