Scènes de crime
LE BAL, PARIS-18E ; WWW.LE-BAL.FR. JUSQU’AU 30 AOÛT. CATALOGUE DE L’EXPOSITION, LE BAL/XAVIER BARRAL, 240 P., 45 EUROS.
Alphonse Bertillon était un fonctionnaire minutieux. Il a été l’un des initiateurs de l’anthropométrie judiciaire, technique qui donna naissance aux premiers fichiers de police. En 1903, il conçut également un dispositif de prise de vue destiné à immortaliser les scènes de crime. Le protocole est défini de manière rigoureuse : la chambre photographique, fixée sur un trépied, est placée à 2 mètres au-dessus du corps de la victime. L’image obtenue est ensuite fixée sur un support de carton portant des indications de mesures et d’échelle. On ne s’étonnera donc pas que ces clichés ouvrent cette exposition tout entière consacrée à « la construction de la preuve par l’image ». Il n’y a dans ce parcours ni artistes ni oeuvres mais des documents retraçant près d’un siècle d’investigations les plus diverses, qu’elles aient été menées par des historiens, des enquêteurs ou des chercheurs. La photographie peut-elle être considérée comme une preuve irréfutable? Tout dépend de l’utilisation qui en est faite. On verra ainsi que les images du Saint Suaire de Turin (actuellement exposé dans la cathédrale de la ville italienne), pour détaillées qu’elles soient, ne permettent pas d’a rmer que l’on est en présence d’un tissu ayant recouvert le corps du Christ (l’analyse au carbone 14 a révélé que ce linceul datait du Moyen Age). Plus terrifiante est cette galerie de portraits de citoyens soviétiques. Au moment des purges staliniennes de 1937 et 1938 (plus de 700 000 morts), les prétendus opposants au régime étaient photographiés avant d’être fusillés. Sordide démarche : les clichés étaient remis aux pelotons d’exécution, qui pouvaient ainsi contrôler visuellement l’identité des suppliciés. Au lendemain de la guerre, l’image (en l’occurrence les films réalisés sous la direction de John Ford lors de la libération des camps) est pour la première fois utilisée comme élément de preuve, au procès de Nuremberg. Et, au milieu des années 1980, c’est la photographie encore qui va permettre, grâce aux travaux de l’anthropologue Clyde Snow, d’identifier le crâne du bourreau d’Auschwitz Josef Mengele. Présentés de manière très didactique, tous ces « dossiers » (auxquels il faut ajouter ceux évoquant les destructions à Gaza, une attaque de drone au Pakistan) posent la question de l’utilisation et de l’exploitation de la photographie. Des questions, donc. Et des réponses? On l’aura compris : il faut voir.