L'Obs

L’Europe à pile ou face

- MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

Et à la fin, qui paiera la note ? Le bras de fer engagé par Alexis Tsipras avec ses partenaire­s européens le week-end dernier laisse une impression de formidable gâchis. Cinq ans après le déclenchem­ent de la crise de la dette grecque, l’Europe n’a jamais paru aussi impuissant­e et fragile. L’avenir de sa monnaie et plus largement de son projet est aujourd’hui entre les mains d’un peuple à

bout de sou e. « L’urgence est de rétablir le

dialogue avec des adultes dans la pièce », a lancé il y a quelques jours la patronne du FMI, Christine Lagarde, comme un ultime avertissem­ent. La petite phrase fut jugée maladroite et méprisante. Elle n’a pourtant jamais sonné aussi juste pour tous les acteurs de cette tragédie à rallonge, tant les irresponsa­bles se comptent dans chaque camp.

A qui la faute ? Aux Grecs d’abord. A commencer par les gouverneme­nts qui ont lentement mais sûrement fait naufrager leur pays depuis quarante ans. On peut en e et reprocher bien des choses à Alexis Tsipras, mais il n’est pas comptable de la situation qu’il a trouvée en arrivant. Le clientélis­me ? La fraude ? Les gabegies ? Les maux qui rongent la Grèce sont anciens. Et Nouvelle Démocratie à droite ou le Pasok à gauche, qui se sont partagé le pouvoir depuis la chute des colonels jusqu’en janvier dernier, n’ont jamais rien fait pour prendre ces problèmes à bras-le-corps. Incapables de réformer leur pays, incapables de le doter d’une administra­tion digne de ce nom, incapables de mettre fin à l’économie parallèle, ce sont eux aussi et non Syriza qui ont accepté de maquiller les comptes publics, avec la complicité de Goldman Sachs, pour entrer dans l’euro.

A qui la faute (bis) ? A la troïka ensuite, qui n’a pas su résoudre la crise de la dette tant qu’il était encore temps. Plutôt que d’apporter une réponse politique, en assumant des pertes ou en envoyant par exemple une task force européenne pour e ectuer les réformes et remettre l’Etat d’aplomb, elle s’est contentée d’une approche strictemen­t comptable. Des sacrifices contre des milliards d’euros, puis de nouveaux sacrifices contre de nouveaux milliards afin d’assurer le remboursem­ent des premières tranches et ainsi de suite… Résultat: les Grecs, exsangues, n’ont aujourd’hui plus de quotidien ni d’avenir. Allez leur demander, après ça, de croire en quelque chose! Là est la plus grande faiblesse des Européens dans les dernières négociatio­ns : avoir refusé d’accorder à Tsipras une perspectiv­e, un débouché, en acceptant de renégocier la dette. Quand l’Europe n’est pas en mesure d’o rir à ses citoyens un horizon, elle se réduit à sa caricature: celle d’un club de notaires sans vision.

A qui la faute (ter)? A Tsipras enfin, qui a surestimé ses forces et promis à ses électeurs un avenir qu’il n’était pas à même de leur garantir. S’en est-il vraiment donné les moyens ? On peut regretter que lui, l’homme de gauche, n’ait pas fait de l’impôt sa première priorité en mettant à contributi­on tous ceux qui y échappent encore. Poussé dans ses retranchem­ents par ses partenaire­s européens, il n’a pas su convaincre sa majorité de soutenir les e orts qu’il semblait pourtant prêt à accomplir. Et le voilà qui dégaine l’arme du référendum, cinq mois seulement après son élection… C’est une chose de redonner la parole au peuple. C’en est une autre d’organiser à la hâte un vote sur des propositio­ns qui ne font pas encore l’objet d’un accord, histoire de peser sur le cours d’une négociatio­n. L’Europe a besoin de se réinventer, oui. Mais pas à pile ou face. Ni sur tapis vert.

Les Grecs n’ont aujourd’hui plus de quotidien ni d’avenir. Allez leur demander, après ça, de croire en quelque chose !

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