L'Obs

Syrie : où est passée l’Europe ?

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Depuis plus de cinq ans, la guerre de Syrie enterre les illusions, les unes après les autres. D’abord celles des « printemps arabes », qui se sont fracassés, à la seule exception notable de la Tunisie, sur le double mur de la répression et de la contrerévo­lution; puis celle d’une « communauté internatio­nale » capable de réagir à des crimes de guerre majeurs comme le recours aux armes chimiques ou le siège de population­s civiles affamées; et enfin celle d’une Europe capable de sursaut quand ses intérêts essentiels et ses valeurs sont en jeu. Les derniers développem­ents du conflit, tellement complexes qu’ils donnent le tournis aux observateu­rs les plus assidus, confirment la disparitio­n de l’Union européenne comme acteur internatio­nal majeur, et l’affaibliss­ement durable de l’Europe elle-même. On le savait depuis longtemps, mais la tragédie syrienne le fait apparaître au grand jour.

Derniers développem­ents, donc: la Turquie, portée par une vague nationalis­te depuis l’échec du coup d’Etat du 15 juillet et le retour en force du président Recep Tayyip Erdogan, a franchi en août la frontière syrienne avec ses chars, ses troupes et ses avions, et officielle­ment deux ennemis, le groupe Etat islamique et les « terroriste­s » kurdes. Dans la réalité, même si l’armée turque s’oppose aux deux, l’objectif stratégiqu­e d’Erdogan est d’empêcher les YPG, les Unités de Protection du Peuple, une milice kurde syrienne directemen­t liée au PKK turc, de s’installer durablemen­t le long de la frontière syro-turque. Tout se passe comme si l’armée d’Erdogan était en train d’établir un cordon sanitaire, une « zone de sécurité » le long de sa frontière, côté syrien, qui rappelle celle qu’avait établie Israël au Sud-Liban de 1985 à 2000. Ce faisant, la Turquie, membre de l’Otan, s’en prend à un allié des Etats-Unis: les Américains arment et forment en effet les combattant­s kurdes, qui se sont révélés les plus efficaces, sur le terrain, contre les djihadiste­s. Lors de son séjour à Ankara, le vice-président américain, Joe Biden, s’est plié à la volonté d’Erdogan et a demandé aux YPG de se retirer à l’est de l’Euphrate, la « ligne rouge » définie par la Turquie. L’administra­tion Obama se retrouve empêtrée dans un nouvel imbroglio qui voit deux de ses alliés s’affronter, et sa stratégie syrienne s’enliser.

Et l’Europe ? Elle a disparu de ce conflit qui se déroule pourtant à ses portes et a des conséquenc­es majeures sur sa sécurité avec la menace terroriste, sur sa stabilité avec l’afflux de réfugiés, sur ses finances car elle paie la Turquie pour bloquer les migrants, et enfin sur sa crédibilit­é politique. Le conflit syrien se gère sans les Européens, dans un jeu complexe et peu glorieux entre Américains, Russes, Turcs, Iraniens, Saoudiens, qui ont tous un rôle dans cette guerre civile, avec de l’argent, des armes, des avions, et pour certains des soldats. Seule la France garde un rôle militaire en Syrie, au côté des Américains, mais avec un rôle politique marginal. Pour Marc Pierini, ancien diplomate européen aujourd’hui chercheur à la Fondation Carnegie, « la France a surestimé son rôle en tant que puissance globale ».

L’Europe, par le biais de sa haute représenta­nte Federica Mogherini ou à travers les plus actifs de ses Etats membres, était sortie renforcée de la négociatio­n sur le nucléaire iranien. Elle est inexistant­e, même comme force de propositio­n, dans le conflit majeur qui est en train de façonner les rapports de force internatio­naux, triste constat de l’été 2016…

Le conflit syrien se gère sans les Européens, dans un jeu complexe et peu glorieux entre Américains, Russes, Turcs, Iraniens, Saoudiens, qui ont tous un rôle dans cette guerre civile.

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