Les Macron, mari, femme et associés
Elle est sa meilleure conseillère et son unique confidente. Emmanuel ne fait rien sans demander l’avis de Brigitte. Enquête sur un couple fusionnel à l’assaut du pouvoir
Aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, il n’y en a que pour lui. Ce dimanche 3 juillet, voici Emmanuel Macron happé par une assistance frémissante, banquiers et pontes du CAC40 venus assister au déjeuner de clôture. Personne ou presque ne fait attention à son épouse, Brigitte, jean moulant et stilettos noirs, qui essaie tant bien que mal de rester dans son sillage. Monsieur le ministre s’assoit à une table, tant pis s’il n’y a pas de place pour elle. Embarrassée, Brigitte continue à vouloir faire bonne figure. Elle s’installe à une autre table, derrière lui. Sa voisine de circonstance, qui a tout vu, se penche. « Vous n’en avez pas marre de tout ça? » Elle rit. « Jusque-là! Heureusement, en 2017, c’est terminé! » Son interlocutrice n’aurait su dire s’il s’agissait d’un espoir ou d’une boutade.
Brigitte, 63 ans, et Emmanuel, 38 ans. Ils viennent de quitter Bercy, désormais prêts à se lancer à la conquête de l’Elysée. Jamais, depuis Nicolas et Cécilia Sarkozy, un couple politique ne s’était autant affiché main dans la main. On ne compte plus les cartes postales envoyées cet été : déplacements au Puy du Fou, chez Philippe de Villiers, à Rodez pour la visite du Musée Soulages, meeting à la Mutualité, vacances à Biarritz célébrées par « Paris Match ». « Couple fusionnel », disent leurs amis, dont aucun, pourtant, ne jurerait avoir percé le mystère de leur relation. Comme les amants du « Baiser » de Brancusi, ces deux-là semblent ne faire qu’un, vigilants à ne donner aucune prise aux questions sur les vingt-cinq années qui les séparent. Est-elle son pygmalion, démiurge de leur ambition commune ? Ou son Jiminy Cricket, protectrice et bonne conscience? « Il ne fait rien sans lui demander son avis. Du recrutement d’un collaborateur au choix d’un costume ou d’une coupe de cheveux », dit un intime. Femme de l’ombre passée dans la lumière, toujours souriante sur les photos, présente aussi bien lors des réunions de cabinet à Bercy, qu’au comité de pilotage d’En Marche !,
le mouvement politique d’Emmanuel, où elle n’hésite pas à donner son avis sur des sujets d’actualité. « Elle gère son agenda personnel. Elle a estimé qu’être à ses côtés était la meilleure façon depréserver leur vie à deux», dit le député Richard Ferrand. Mme Macron déjeune avec Jacques Attali pour parler de ses propositions économiques. Mme Macron fait passer les messages d’Henry Hermand, autre mentor –et mécène– de son époux. Mme Macron lit les livres qu’il n’a plus le temps de parcourir. Il y a peu, Emmanuel Macron a demandé à un ami: « Elle s’occupe de beaucoup de choses. Tu crois que c’est trop? » Un proche confie: « Emmanuel a eu trois maîtres à penser: le philosophe Paul Ricoeur, Michel Rocard et Brigitte. Les deux premiers sont morts. Elle est la seule pour laquelle il a du respect intellectuel. Il lui confie tout. » Ces dernières semaines, celui qui était encore membre du gouvernement a mis la dernière main à l’écriture d’un livre, qui pourrait faire office de déclaration de candidature à l’élection présidentielle. Elle en a relu chaque page, multipliant les annotations, le poussant à reprendre tel ou tel passage.Un exercice à quatre mains, comme au début de leur histoire, quand ils réécrivaient ensemble « l’Art de la comédie », la pièce d’Eduardo De Filippo.
A l’époque, Brigitte est professeur de français à Amiens, au lycée catholique La Providence. Belle, joyeuse, mariée à un banquier et mère de trois enfants, elle tombe sous le charme d’un élève brillant, apprenti comédien dans l’atelier théâtre qu’elle anime chaque vendredi. Elle est de ces profs qui portent les élèves, changent le cours d’une vie, révèlent des vocations. « Une femme extraordinaire, très à l’écoute, dynamique, passionnante, solaire », racontent ses anciens élèves. Elle chérit les classiques, Baudelaire, Rimbaud, Beaumarchais. Adore le « Dom Juan » de Molière pour son côté « librepenseur ». Mais celui qu’elle met sur un piédestal, c’est Flaubert, la critique de la médiocrité bourgeoise dans « Bouvard et Pécuchet », le portrait d’Emma Bovary, son ennui, ses rêves de princesse. Peutêtre a-t-elle lu à Emmanuel cette scène de « l’Education sentimentale », quand Frédéric voit Mme Arnoux pour la première fois? « Elle était assise, au milieu du banc, toute seule; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses
yeux. » Son prétendant n’a pas 20 ans, et Brigitte éclipse le reste du monde. Qui peut dire ce qu’elle a subi, les reproches, les colères, les anathèmes, dans sa famille et parmi ses proches? Il lui faudra dix ans pour divorcer, s’installer à Paris, rompre avec les siens, les Trogneux, chocolatiers de la ville, notables conservateurs, piliers du Rotary. Lui se brouillera avec ses parents, fils renié qui trouvera son seul soutien auprès d’une grand-mère vénérée. Impossible de comprendre les Macron sans imaginer les épreuves traversées, les doutes, la violence du conformisme. Si cet amour fut vécu comme une lutte, leur mariage, en 2007, à l’hôtel Westminster du Touquet, cette station bourgeoise où les Trogneux aiment se rendre en villégiature, fut leur triomphe, devant un parterre d’énarques, de PDG, nouveaux amis d’Emmanuel, tout jeune inspecteur des Finances. Il fallait bien cela pour faire capituler les Trogneux.
Ils se disaient : rien n’est insurmontable aux gens heureux. Mais, depuis la nomination d’Emmanuel à Bercy, Brigitte est inquiète. « Elle était dans une auto qui roulait tranquille sur une route de campagne, et la voilà dans un bolide lancé à toute allure sur une autoroute », dit un proche. A Amiens, elle a connu les commérages, les regards en biais, la mise au ban. Rien de comparable cependant à la brutalité du monde politique. La séparation entre François Hollande et Valérie Trierweiler, que les Macron recevaient à dîner dans leur appartement du 15e arrondissement, l’a décontenancée. Tout comme les murmures sur le couple Valls. Elle connaît par coeur la tirade du « Barbier de Séville »: « La calomnie! Monsieur, vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. » Son couple n’échappe pas aux ragots. Emmanuel aurait une liaison. Brigitte veut couper court, prend rendez-vous avec Caroline Pigozzi, une journaliste de « Paris Match », lui confie des souvenirs, des photos. Pour faire « taire les rumeurs de caniveau », dira-t-elle.
Le grand public découvre Brigitte Macron en une de l’hebdomadaire le jour d’une émission télévisée de François Hollande. « Un hasard. Elle ne savait pas que cela ferait la couverture », jure Caroline Pigozzi. Qu’importe, le Tout-Paris politique tombe sur le jeune arrogant. Comment Emmanuel Macron peut-il incarner le renouveau de la vie politique tout en marchant sur les pas de Nicolas et Carla Sarkozy ? On ricane. Elle s’en désole. « Mon épouse, à laquelle je tiens beaucoup, […] ne connaît pas le système médiatique. Elle regrette d’ailleurs profondément. C’est une bêtise qu’on a faite ensemble », déclare le jeune ministre lors d’un déplacement à Londres. Il donne l’impression de se défausser sur elle. Il faut écouter la suite. « La chose qui m’importe le plus, au-delà de tout, de mon engagement, c’est mon couple. Je ne laisserai personne m’embêter làdessus », ajoute-il d’un air grave, inhabituel chez lui. Ont-ils idée des manoeuvres et autres coups bas qu’impliquerait une candidature présidentielle? « Ils sont douillets », persifle un député socialiste. Ou manipulateurs? Quatre mois plus tard, en plein mois d’août, les Macron acceptent de poser en tenue de plage pour une nouvelle couverture de « Match ». Difficile, comme ils le font pourtant, de plaider encore l’ignorance.
« La politique, on me l’a imposée », dit-elle. Elle n’a pas mesuré à quel point l’exercice de pouvoir accapare, transforme le rapport aux autres, suscite de tentations. Le jeune ministre vit désormais entouré d’une cour, un « fan club » de conseillers dont elle se revendique « la présidente ». « Je suis très admirative. Il sait très bien faire », dit-elle en novembre dernier devant une caméra de Canal +, comme si elle était encore la prof et lui, l’élève. Hyperactif, petit dormeur, Emmanuel Macron a toujours beaucoup travaillé. Mais les weekends sont sacrés (un comble pour l’homme qui a fait voter la loi sur le travail du dimanche). Alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, il confie : « François Hollande peut me demander d’être là de 7 heures à minuit, mais le samedi et le dimanche, c’est pour Brigitte. » La vie de ministre a cependant multiplié les obligations: dîners en semaine, déplacements le week-end. Brigitte a tenu jusqu’en juin 2015. « Un jour, elle m’a dit: “Je suis crevée. Je n’ai plus le temps de préparer mes cours. Je ne suis plus à la hauteur de mes élèves”», raconte Gérard Collomb, le maire de Lyon. Elle se met en disponibilité de l’Education nationale, « pour accompagner son mari », diton dans son entourage. Par envie véritable ou parce qu’elle a peur de le perdre?
Economiste, engagé dans En Marche!, Marc Ferracci est peutêtre l’ami le plus proche du couple, du moins le plus ancien. Pour lui, « Brigitte ne pousse pas Emmanuel à être président. Elle en voit surtout les inconvénients ». Tout indique pourtant que sa nouvelle notoriété est loin de lui déplaire. Brigitte Macron s’affiche au premier rang des défilés des maisons de haute couture, qui rivalisent pour habiller sa silhouette gracile d’icône d’une jeunesse éternelle. Les paparazzis la suivent? Elle s’en amuse. Et que dire de l’anniversaire de sa nouvelle amie Line Renaud, où elle a pu embrasser Johnny Hallyday, idole de sa jeunesse? Il serait toutefois injuste de ne retenir de Brigitte Macron que ces quelques épisodes « people ». L’an passé, elle avait organisé au ministère une rencontre entre Fabrice Luchini, Emmanuel Macron et une centaine d’élèves de Saint-Louis-de-Gonzague, prestigieux lycée du 16e arrondissement, où elle enseignait. « Un immense souvenir, raconte l’acteur. Moi qui déteste ce genre de manifestations, j’ai trouvé ça passionnant. On était interrogé sur Rimbaud, sur Nietzsche, sur Flaubert. J’ai trouvé cette femme complètement harmonisée, à sa place, dense, précise, une solidité intérieure. Elle a mené ça de main de maître. » L’été suivant, Luchini prêtera aux Macron sa maison à l’île de Ré.
Brigitte Macron a-t-elle conscience d’incarner, aux yeux des militants de gauche, tous les clichés de la grande bourgeoisie provinciale? LeTouquet, Biarritz, la famille catho et réac, les grands établissements privés où elle a enseigné. « Elle n’est pas sa conscience de droite, rétorque Marc Ferracci. Son influence n’est pas idéologique. Je sais qu’elle a voté à gauche et à droite. Elle s’attache aux personnes plus qu’aux idées. Si je devais la définir, je dirais qu’elle a une âme d’enseignante, mais est également pro-business et proche des entrepreneurs. » Autrement dit, libérale. Communicant de François Hollande à l’Elysée, Gaspard Gantzer est resté très copain avec Emmanuel Macron depuis leur passage à l’ENA dans la promotion Senghor. « J’ai toujours eu le sentiment que Brigitte avait des valeurs de gauche, sur la solidarité, les inégalités, l’esprit de justice », affirmet-il. Dans la famille Trogneux, on racontait que la petite dernière, venue sur le tard après cinq frères et soeurs, n’en faisait qu’à sa tête. Est-elle prête aujourd’hui à sacrifier sa singularité et à se plier aux us et coutumes des élites parisiennes? « Brigitte n’est pas de notre monde », résume l’un de ceux qui, pourtant, dînent de temps à autre avec le couple. D’autres moquent sa spontanéité, sa franchise. Sa supposée naïveté. Quand on évoque devant les Macron l’éventualité d’une candidature présidentielle en 2022 ou en 2027, Brigitte n’a-t-elle pas coutume de répliquer: « Pour moi, c’est maintenant, parce qu’après c’est ma gueule qui posera problème! »?
Brigitte veut faire taire les “rumeurs de caniveau”.