Mauvignier en cavale
CONTINUER, PAR LAURENT MAUVIGNIER, MINUIT, 240 P., 17 EUROS.
Jusqu’alors, l’impressionnante et tempétueuse circumnavigation romanesque de Laurent Mauvignier, laquelle traverse le temps et passe par le stade du Heysel et la centrale de Fukushima, la France et l’Algérie, la Tanzanie et la Floride, Israël et la Russie, ignorait encore le Kirghizistan. Avec « Continuer », l’oubli est réparé. C’est en e et dans ce pays montagneux d’Asie centrale, une exrépublique d’URSS, que l’écrivain d’« Autour du monde » envoie, pour un trek équestre, un couple de désarçonnés : Sibylle, qui a le sentiment de n’avoir pas su construire sa vie, et son fils Samuel, un adolescent qui a déjà envie de détruire la sienne. La mère a étou é son rêve de devenir romancière et chirurgienne, en même temps qu’elle a perdu ses illusions de gauche et son idéal amoureux. Et voici que son fils, prénommé Samuel à cause de Beckett, ajoute encore à son désenchantement et à son désarroi : il a de l’acné et le crâne rasé, il se la joue skinhead, il a été mêlé à une tournante, et, enfermé derrière son casque audio, il ne communique plus. Même le père, dont Sibylle vient de divorcer et qu’elle appelle à la rescousse, est impuissant à empêcher la dérive et le naufrage de ce garçon qui aimait tant monter et qui s’obstine désormais à tomber. Pour le sauver, la mère décide alors d’emmener son fils parcourir, en selle, le « pays des chevaux célestes ». Des semaines d’une randonnée aux trois allures et à haut risque, entre crevasses et à-pics, lacs et vallées, avec ses campements de fortune, ses rencontres improbables avec des Kirghizes ou des Français, au cours de laquelle se reforme peu à peu, non sans mal, jusqu’à un épilogue qu’on ne révélera pas, le lien distendu, disparu, entre cette femme épuisée de vivre et son ado dégoûté de tout. Un lien dont la relation silencieuse et sensible avec le cheval est, sans doute, la plus juste des métaphores.
Après avoir montré, du monologue intérieur à la fresque polyphonique, de la petite à la grande histoire, l’étendue de ses dons, Laurent Mauvignier, prix du livre Inter pour « Apprendre à finir », s’essaie au roman d’aventures, et c’est palpitant de bout en bout. Même si l’on a vite compris que ce raid à cheval cache une expédition plus intime, celle que Sibylle Ossokine e ectue dans son passé, beaucoup plus infranchissable et dangereux que les montagnes du Kirghizistan. La prose, à la fois galopante et méditative, de Laurent Mauvignier mêle ces deux aventures, l’horizontale et la verticale, comme elle prolonge toutes les obsessions de ses romans précédents et leur thème récurrent : comment recoller des destins brisés, comment sortir de la guerre, comment faire la paix, comment « continuer » ?