L'Obs

Quelle Tuil !

Dans un roman choral, Karine Tuil autopsie tous les drames et conflits de nos sociétés modernes L’INSOUCIANC­E, PAR KARINE TUIL, GALLIMARD, 528 P., 22 EUROS.

- SOPHIE DELASSEIN

C’est un roman, le dixième de Karine Tuil (photo), qui ne vous lâche pas. François Vély, grand patron de la téléphonie et amateur d’art, fait une tragique erreur de communicat­ion. A la veille d’une fusion capitale pour sa société, une photo le montrant assis sur une sculpture qui représente une femme noire, nue et à quatre pattes, est publiée dans le supplément d’un important quotidien. A l’ère des réseaux sociaux, le cliché fait le tour du web en quelques clics. A l’heure des crispation­s identitair­es, le scandale est mondial. C’est une épreuve que doit a ronter ce chef d’entreprise, dont la rumeur a rme désormais qu’il est juif (Vély s’appellerai­t en fait Lévy). Il a beau nier, le voilà victime d’antisémiti­sme et taxé de racisme. Des rebondisse­ments, dans l’existence dorée de François Vély, il y en aura d’autres et de plus tragiques. Par-delà l’intrigue, « l’Insoucianc­e » est une grande fresque hyperréali­ste construite, c’est sa force, à la manière des séries : un chapitre, un personnage, avant que leurs destins ne se croisent. Tous les grands sujets de notre société sont abordés : le vernis social, les a res de la vie conjugale, le pouvoir déconnecté du réel, les communauté­s dressées les unes contre les autres, la xénophobie, l’exclusion et la violence qu’elle engendre. D’ailleurs, elle est partout, à chaque page, cette violence. Le lieutenant Romain Roller l’a a rontée lors d’une mission en Afghanista­n. La romancière Marion Decker, jeune épouse de François Vély, la subit depuis l’enfance, elle qui écrit parce que « la vie est incompréhe­nsible ». Celle que vit Osman Diboula, ce Noir issu du monde associatif dans les banlieues, devenu conseiller du président avant de tomber en disgrâce. La violence, aussi, que Sonia, sa compagne, l’une des plumes du même président, lui assène en le quittant.

La seule respiratio­n au fil de ces pages : l’histoire d’amour adultérine, spontanée, aussi sincère que compliquée entre la femme de Vély et le lieutenant Roller. Les personnage­s de Karine Tuil sont déjà cabossés quand le livre débute : ils ignorent qu’ils n’ont encore rien vécu. Aucun ne sort indemne de cette histoire fascinante qui raconte, avec éclat, la fuite de « l’insoucianc­e ».

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