L'Obs

Ocean de perplexité

BLONDE, PAR FRANK OCEAN (BOYS DON’T CRY).

- FABRICE PLISKIN

C’est l’Arlésienne de Los Angeles. A force d’attendre « Blonde », le nouveau disque du chanteur rappeur Frank Ocean, maintes fois programmé, déprogramm­é, titré, débaptisé, précédé sur internet par des fuites et des fausses alertes, puis par l’apéritif d’un « album visuel » de 18 titres (« Endless »), à la fin, on s’était inventé un disque imaginaire, colossal, anthologiq­ue. Quelque chose comme « Songs in the Key of Life » de Stevie Wonder, « The Miseducati­on of Lauryn Hill » ou « Speakerbox­xx/The Love Below » de OutKast (on retrouve d’ailleurs André 3000 sur un bref morceau de « Blonde », le frénétique et jazzeux « Solo [reprise] »). A l’arrivée, l’Oceanograp­he est bien déçu ; il n’ira pas jusqu’à s’écrier comme Baudelaire « Je te hais, Ocean », car Frank Ocean est un artiste R’n’B on ne peut plus aimable de par son gracieux falsetto et son premier album « Channel Orange » (2012). Mais que penser de « Blonde » ? Répondons à cette question par une autre question. Comment une blonde fait-elle pour tuer un poisson ? Elle lui met la tête sous l’eau pour le noyer. C’est la première impression que vous inspire ce disque que la presse anglo-saxonne, avec son art insulaire de l’euphémisme, appelle un « album subtil », façon polie de s’arracher les cheveux et de se rouler dans la cendre, après une douloureus­e arnaque.

Une fois le désenchant­ement passé, quand on a fait son deuil du chef-d’oeuvre que, dans sa fureur virale, vénale ou puerpérale, nous promettait la Toile, on trouve même sur « Blonde » quelques jolies pièces de pop soul impression­niste. La ritournell­e « Ivy ». La ballade « Nights » qui, dans sa deuxième partie, ressemble à un rap de Chance The Rapper par son allure plus siesta que fiesta. Au chapitre mondanités, citons les contributi­ons du rappeur Kendrick Lamar sur « Skyline To » qui n’y fait pas grand-chose, et de Beyoncé, ensevelie sous les choeurs de « Pink + White ». Ocean privilégie les morceaux ralentis au coeur brisé, quelquefoi­s sans batterie ou sans boîte à rythme. Ivre de sa voix, il en oublie parfois de la parer d’une mélodie (« Seigfreid »). C’est le moment de citer le poème que Kanye West, pour le défendre, vient de consacrer à Ocean : « Je savais que le Coca Light était jaloux des frites/Je savais que les Nuggets étaient jaloux des frites […] A l’exception de ce mec très spécial/Cette douce tarte aux pommes. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France