L'Obs

Quand Timsit et Demaison trinquent…

Un duo d’humoristes gouailleur­s pour parler bouteilles dans un bistrot parisien… C’est la rencontre organisée par “l’Obs” entre deux passionnés de l’univers viticole

- ANTOINE GERBELLE LÉO-PAUL RIDET

On ne choisit pas sa famille, ni son millésime. Une grande année (1959/Patrick) rencontre une assez pitoyable (1973/François-Xavier). Ils se connaissen­t à peine. S’apprécient pourtant beaucoup. Nous les avions croisés une première fois dans un taxi commun, en 2015, en route vers l’inaugurati­on d’un fameux grand cru classé de saint-émilion : l’Angélus, un château très proche du monde du cinéma. Flash-back. A l’arrière de la berline, ça papote. Pas très chi ons, plutôt si ons. Le fils de pieds-

noirs, plutôt bordeaux, et celui de bonne famille de l’Ouest parisien, très Rhône, ont connu une vie profession­nelle avant de devenir saltimbanq­ues. Une ouverture au monde qu’ils continuent de nourrir au contact des vignerons. Timsit et Demaison croisent le verre au Bistrot Paul Bert. Action!

Première gorgée de vin ? Patrick Timsit : On se dit tout ? C’est sûrement le Kiddouch*. J’étais très jeune, je ne savais pas que c’était du vin, mais je voyais tous les gamins qui ne voulaient pas décoller leurs lèvres du gobelet. Ils étaient tous heureux d’en boire. Tu m’étonnes. François-Xavier Demaison : Moi, c’est éducation bourgeoise. Mèche sur le côté, table familiale, gigot flageolet, anniversai­re, dimanche midi, Ducru-Beaucaillo­u [deuxième grand cru classé de saint-julien, NDLR]. J’avais 17 ans. Pas une goutte d’alcool avant ça. J’ai pas trouvé ça bon. Je n’ai vraiment découvert le vin que cinq ans plus tard, quand j’étais étudiant. Depuis je me suis bien rattrapé, ça a été exponentie­l! Je bois du vin tous les jours. Une éducation au vin dans la famille ? P. T. : Venus d’Afrique du Nord, on est arrivés à Paris quand j’avais deux ans. Mon père était maroquinie­r, rue du Temple, et on habitait au-dessus de la boutique. Il ne buvait pas de vin. Ou très peu. Chez moi, c’était plutôt l’anisette. Mon père achetait de temps en temps une bouteille de vin. C’était marqué « Bordeaux » dessus, mais il achetait ce qui coûtait le moins cher. C’était pas très bon, c’était pas grave. Mon éducation au vin est venue avec la famille du spectacle. Les dîners en sortant de scène, les rencontres pendant les tournées, les connaissan­ces. Et puis très vite, les gens savent que tu aimes ça. F.-X. D. : Ah oui, ça, c’est le piège. Partout où tu vas on te demande de goûter, et parfois, tu n’en peux plus ! Mais je suis comme toi, le petit verre après le spectacle, j’adore cette récompense.

Et avant les spectacles, vous buvez ? P. T. : J’ai besoin de choses plus fortes et plus sèches. Comme un petite shot de vodka pour me mettre en papille, m’ouvrir la bouche. Je réunis les technicien­s, c’est l’occasion de discuter, de s’écouter. Et c’est comme ça aussi que commence ma concentrat­ion avant de monter sur scène. F.-X. D. : Moi, je bois souvent, mais je suis incapable d’avaler une gorgée d’alcool avant de monter sur scène. Trop noué.

[Le serveur prend la commande, service façon tapas sur table : tampura de lotte, assiette de tomates du jardin, hure de cochon, carpaccio. Suivront un filet de boeuf sauce au poivre, à point, « coupé en dés à l’espagnola », et une pièce de thon.] Quand avez-vous commencé à garder du vin, à vous constituer une cave ? F.-X. D : Quand je me suis posé en Provence, dans ma maison, à Aix, j’ai rencontré Serge Ghoukassia­n [du restaurant Chez Serge à Carpentras, NDLR] qui m’a fait découvrir les grands vignerons de la vallée du Rhône. Les Ganglo [côte-rôtie], Perrin [château de Beaucastel, châteauneu­f-dupape], Brunier [domaine du Vieux Télégraphe] ou encore Eloï Durrbach du domaine de Trévallon Bouches-du-Rhône]. P. T : C’est drôle, du Trévallon je viens d’en boire une bouteille en Belgique. F.-X. D. : Trévallon, un de mes vins préférés. P. T. : J’adore son blanc, mais je trouve que son rouge ressemble trop à un bordeaux. Je lui ai dit, il l’a mal pris! F.-X. D : Moi je lui ai dit que son vin c’était « un grand bordeaux qui avait pris un coup de soleil! » Il n’a pas adoré, pourtant, pour moi, c’était un compliment. P. T. : C’est excellent Trévallon, mais c’est la démarche d’avoir voulu mettre du cabernet sauvignon en Provence qui me surprend. Attention, je ne suis pas un expert, je peux dire des conneries…

Autre chose me choque, c’est l’usage du goutte-à-goutte dans la viticultur­e, ça nivelle le goût du raisin et du vin. Comme en Californie, où j’ai visité souvent le vignoble. Pour moi, une vigne sous goutteà-goutte ce n’est pas la même chose qu’une vigne qui pousse naturellem­ent. Ça ne donne pas les mêmes raisins. Ils devraient même appeler ça autrement que « vin ». Je ne juge pas, mais je dis qu’il ne faut pas comparer ces deux familles. F.-X. D. : Je prends tous les vins comme ils sont. Je suis extrêmemen­t grand public. Je n’aime pas les extrémiste­s du vin ni ceux qui ont des oeillères. Comme en ce moment les cavistes ou les sommeliers qui ne proposent que des vins « natures ». J’aime autant le tavel de l’Anglore [il montre le vin servi dans son verre] qu’un Mouton Rothschild. En fait, mes goûts pour le vin, c’est comme pour la musique. J’écoute aussi bien du Bach que les Beatles ou le rappeur Youssoupha. F.-X. D. : Au fond, ce qui me fascine le plus, ce sont toutes les histoires humaines qu’il y a derrière le vin. P. T. : On se rejoint sur ce lien avec l’humain. F.-X. D. : Pour moi, la plus belle rencontre à ce jour, c’est avec Antoine Arena à Patrimonio. Il a complèteme­nt réinventé le vin corse. Ma mère est Corse et j’ai une a ection pour les grands vignerons de l’Île, comme aussi Yves Canarelli de Figari.

Les vignerons sont de grands humanistes. Ce sont des hommes et des femmes qui me bouleverse­nt. Dans ma jeunesse, c’était les grands acteurs qui me fascinaien­t. Maintenant que je fais ce métier, finalement, mes coups de coeur humains sont ailleurs et les vignerons en font partie. P. T. : Ils restent des gens de la terre. Ils n’en ont rien à foutre de notre gueule. Ils se méfient plutôt des mecs connus. J’aime ça. F.-X. D. : Après c’est plutôt le temps qui [vin de pays des

me manque pour les fréquenter. J’aime aussi, chez certains, leur culture de l’excès. La culture de la bouteille de trop. Il m’arrive d’en toucher. Vous observez des périodes d’abstinence ? P. T. : Oui, lors de la préparatio­n d’un film ou d’un spectacle, ça fatigue trop sinon. Il faut perdre du poids. C’est dur. F.-X. D. : Oui, et il faut dire que nous deux faisons partie des gens qui luttent. On aime la table. Vos plus belles rencontres dans le vignoble ? P. T. : Certains sont devenus des amis proches. Je pense à Laurence Féraud du domaine Pégau à Châteauneu­f-du-Pape. J’étais là-bas pour fêter la fin d’un tournage, on a mis un bordel monstre dans le chai. Et puis c’est devenu fusionnel. Les histoires humaines avec des vignerons, c’est énorme. A Châteauneu­f-du-Pape ou à Saint-Emilion, les vignerons ont été extrêmemen­t loin avec moi. Qu’ont fait les vignerons de SaintEmili­on pour vous ? P. T. : En 1992, à la sortie de « la Crise ». A l’époque, les sorties nationales se faisaient à Bordeaux… F.-X. D. : Au passage, qu’est-ce que t’es bien dans ce film. Ton rôle de Michou, je ne m’en remets toujours pas. P. T. : Merci. « La Crise », réalisé par Coline Serreau… Quel talent! Les femmes m’ont toujours tiré vers le haut ! F.-X. D. : Donc t’étais à Bordeaux… P. T. : Oui, et on part en virée à Saint-Emilion pour être intronisé par la Jurade. On entre dans cette magnifique église, on enfile leur cape rouge avec ce bout d’hermine blanche, et la cérémonie commence. Tu as déjà été intronisé ? F.-X. D. : Non, jamais. P. T. : Alors nous voilà avec cette toge assez ridicule, et les vignerons déclament devant chaque intronisé : « Nous ouvrons nos portes et nos maisons…» Et ils se mettent à hurler : « Nous le jurons, nous de voulons ! » Et moi, j’interromps la cérémonie. Je les voyais un peu stressés. Je leur dis : « Excusez-moi, vous êtes bien gentils, mais vous faites quoi au juste ? Vous avez tous soixante ans, de belles situations, et vous vous costumez ! C’est quoi ? Du folklore ou c’est vrai ? » Je savais que je tapais fort. Je poursuis : « Si vous me dites “notre porte sera toujours ouverte”, moi je vais venir y taper. » Le grand maître de la Jurade de l’époque, solennelle­ment, me dit : « Frappez, nous serons toujours là. » Sept ans plus tard, j’ai eu besoin de lever des fonds pour un projet d’aide aux enfants trisomique­s… F.-X. D. : Suite à tes emmerdes avec ton sketch ou tu disais : « C’est comme les crevettes roses, tout est bon, sauf la tête » ? P. T. : Oui, et je suis devenu très proche des parents et associatio­ns de trisomique­s. On a décidé de les emmener en voyage loin, là où le regard change. Notamment sous des masques durant le carnaval de Venise. C’était magique. Incroyable. Tous ces gamins, heureux, ne voulaient plus retirer leur masque tellement le regard sur eux était di érent. Et bien, pour financer cette aventure, j’ai demandé de l’argent aux vignerons de Saint-Emilion. Et ils ont joué le jeu. Ils ont organisé dans le village une superbe vente aux enchères. Ils se sont tous mobilisés. C’est ça aussi, pour moi, la force des hommes du vin. F.-X. D. : C’est fort, c’est beau, on dirait un film. Moi, ces amitiés-là, je les ai dans le Rhône. A chaque fois que je joue dans le coin, les vignerons viennent me voir et on échange. On trouve un bistrot, on ouvre des quilles, c’est une paulée [repas traditionn­el en Bourgogne à la fin des vendanges, NDLR] improvisée, jusqu’au bout de la nuit.

[Justement, le serveur apporte une carafe en forme de verre à pied géant – « C’est le verre de Depardieu » s’exclame F.-X. – d’hermitage blanc 2011 du domaine JeanLouis Chave. Un marsanne/roussanne, le cul au frais dans une eau à 15 °C depuis le début de l’entretien. Service à l’aveugle.] F.-X. D. : Ça me fait penser à un vin portugais que j’ai bu il n’y a pas longtemps. [Il ouvre de grands yeux et jubile.] Je sais, c’est du rhône blanc. Saint-Joseph ? Vous n’avez jamais été tenté d’acheter des vignes? De faire votre vin comme d’autres acteurs célèbres ? F.-X. D. : J’y pense, ça me démange. Je suis sur un beau projet. Trop tôt pour en parler.

Dans quelle région ? F.-X. D. : Du côté de Perpignan… Stop ! J’en ai trop dit. Je suis amoureux, ça m’excite. J’ai tout à apprendre. P. T. : Je suis sûr que tu vas réussir. Tu as le nez pour ça. Moi non, c’est trop dur. Je n’y connais rien. Il y a tellement de bons vins. Je serai nul. Déjà, j’ai mis trois mois à faire une étiquette pour une cuvée de châteauneu­f-du-pape mise aux enchères au profit de la fondation ICM (Institut du cerveau et de la moelle épinière) du professeur Saillant. J’avais plus le tract que pour écrire un sketch ! T’imagines, si je me mets à faire du vin, je ne dormirai plus. Derniers coups de coeur dans le verre ? P. T. : Les vins des terrasses du larzac. J’adore les vins de ce secteur près de Montpellie­r. C’est mûr et frais à la fois. F.-X. D. : Sur le tournage de mon dernier film « l’Outsider », j’ai beaucoup échangé avec le réalisateu­r Christophe Barratier, un fou de vin lui aussi. Tout récemment, j’ai goûté les vins de Frank Cornelisse­n. Un Belge qui est parti faire un blanc sur les pentes de l’Etna. C’est génial. Prochaine étape, il faut que je rencontre ce fou. F.-X. D. : Bon, je fais péter ma bouteille parce qu’il faut passer au rouge.

[Il choisit une généreuse syrah, un hermitage rouge 2013 façon « nature » de chez Dard et Ribo.] P. T. : Moi je ferai péter la mienne plus tard, sinon on sera pété et ce n’est pas le but.

Sur la table défileront encore un saumurcham­pigny Clos Rougeard 2009, pour titiller les goûts de bordeaux de Patrick Timsit, et un vosne-romanée premier cru Les Suchot 2008, du domaine Prieuré-Roch. Une heure du mat’, bien hydratés pour a ronter le pic de canicule parisienne du mois d’août ,« les deux futurs meilleurs amis » décollent du 20, rue Paul-Bert. * Kiddouch : dans le judaïsme, cérémonie de sanctifica­tion du repas familial du Shabbat, au cours de laquelle une coupe de vin casher est goûtée tour à tour par tous les convives.

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Le fils de pieds-noirs et celui de bonne famille apprécient autant le bon vin que ceux qui le produisent.
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