L'Obs

Ils étaient prêts à traverser le monde pour des nouilles minute ou des hot dogs. Aujourd’hui, Paris est à leurs pieds et leur offre la possibilit­é de dévorer sur le pouce une junk food de qualité

- par LAURIANNE MELIERRE illustrati­on AKI

De la « nourriture de rue ». En résumé, un plat pratique, certes, mais qui n’a pas pour autant oublié d’être bon. Longtemps, dans l’imaginaire collectif, cette appétissan­te street food se dégustait en Asie, où seuls quelques chanceux revenant de voyage pouvaient raconter à ceux qui l’étaient moins (chanceux) cette folle tradition qui consiste à manger des mets délicieux mais préparés en quelques secondes sur un coin de trottoir ou dans une échoppe, avec les produits du coin. Le Français, jusqu’à la fin des années 1990, n’avait donc à sa dispositio­n que des établissem­ents où il fallait prendre le temps de l’entrée, du plat, du dessert et de son café, ou sa radicale alternativ­e, l’éternel jambon-beurre, à croquer aussi bien au bureau que sur la route des vacances. Il faut dire que la cuisine de l’Hexagone n’était pas du genre à supporter les contrainte­s. Mais en quinze ans, la street food a dynamité les habitudes culinaires ampoulées issues des traditions françaises.

Il aura fallu attendre les bonnes résolution­s du nouveau millénaire pour voir éclore timidement les premiers élans de contestati­on culinaire, soutenus par une jeune garde de chefs, avides de nouveauté et de fraîcheur. Parmi eux, Alexandre Cammas, fondateur, en 2000, du guide « Fooding », devenu en quelques années une référence pour ces gourmands lassés des brasseries et de leurs soles meunière. Julien Pham, ex-rédacteur en chef et fondateur du mook épicurien « Fricote » en 2009, se souvient d’un milieu de la critique gastronomi­que qui était alors « trusté par des chefs et des journalist­es ». Un domaine qui avait du mal à se renouveler, mais reboosté par le web. « Avec les réseaux sociaux, di érents univers ont pu prendre la parole en désacralis­ant le milieu de la cuisine », analyse-t-il.

Petit à petit, des burgers gastronomi­ques, comme Big Fernand, Blend ou Le Camion qui fume démocratis­ent une junk food de qualité. Le reste suit : bagels, raviolis, yakitoris, kebabs, falafels, banh mi, empanadas, bo bun… Autant de spécialité­s parfaiteme­nt instagramm­ables et qui se nichent dans les quartiers hype (mais pas que) de la capitale ; le concept de repas pris sur le pouce correspond­ant bien à une population urbaine et qui s’éduque vitesse grand V. « Il y a cinq ans, personne ne faisait la di érence entre un taco et un burrito. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir a aire à des spécialist­es », se réjouit Alejandro Escobar, chef mexicain à l’origine des taquerias El Nopal, dans les 9e et 10e arrondisse­ments. Une profusion soudaine qui permet de tirer le niveau vers le haut, mais qui n’a pas que des bons côtés, comme le nuance Julien Pham : « Avec la street food, le bon sens s’e ace parfois face à la tendance, avec une réplique à l’identique de ce que l’on peut trouver à l’étranger. Pourtant, notre héritage culturel est extrêmemen­t riche, il faut s’en emparer ! » Et la révolution est en marche avec le « Guide Michelin », qui attribuait en début d’année leur première étoile à deux établissem­ents de street food singapouri­ens. Avec du poulet, du riz et des nouilles étoilés à moins de 2 euros la portion, on n’a pas fini de se lécher les doigts.

Newspapers in French

Newspapers from France