La loi du marché
Comme chaque année, les rayons de la grande distribution se chargent de bouteilles en promo. Comment s’y retrouver ? L’amateur s’y repérera-t-il ? Et, derrière l’événement commercial, qu’attendre de la révolution des appellations en cours ? “L’Obs” vous l
En 2016, cela fera trente ans que les foires aux vins accompagnent la rentrée des Français. Trente ans que la grande distribution donne, chaque mois de septembre, sa version de la cave idéale. Bordeaux conserve toujours la première place dans leur offre. Mais l’attrait des sacro-saints « Châteaux » de Gironde faiblit. Et globalement, depuis 2013, les volumes des ventes de bordeaux s’érodent chez tous les grands acteurs historiques. Le public se lasserait-il des choix de nos distributeurs de masse ? Il faut dire que l’amateur à l’affût des bonnes affaires a eu trente ans pour faire le tour de la question. Les millésimes passent, les étiquettes restent. Si, dans les années 1990, il pouvait encore rem- plir son Caddie de quelques flacons de premiers crus classés de médoc ou assimilés, de saint-émilion ou de pomerol, il a depuis rendu les armes. Ou plutôt fermé le porte-monnaie. Car, dès 2000, ces crus stars ont atteint des prix stratosphériques avec l’ouverture des marchés asiatiques et ont presque tous disparu des catalogues. L’amateur « éclairé » retrouve aujourd’hui dans les casiers de sa cave, chargée de crus bourgeois et crus classés moyenne gamme, le même profil de vin. Le nom du château varie, mais le vin est construit suivant le même modèle: des merlots et cabernet-sauvignon très mûrs, toujours élevés dans des fûts de chêne, souvent neufs pour aromatiser le tout. Une playlist somme toute rassurante mais ennuyante. La baisse des ventes se confirmerat-elle encore cette saison ? La grande distribution tente de sortir
des autoroutes bordelaises, de s’aventurer sur les chemins des domaines à forte notoriété issus d’autres régions pour séduire ses clients avertis. Problème : les domaines fameux de la vallée du Rhône, de Bourgogne, de Loire voire du Languedoc-Roussillon, qui commercialisent à bon prix auprès de cavistes, restaurateurs ou importateurs, n’ont aucun intérêt à voir casser leurs prix et leur image sur le catalogue des hypermarchés. Aucune marque ne prend de la valeur chez un discounter. Dans ces vignobles, la grande distribution s’est trouvé des partenaires aux structures proches du modèle bordelais par les volumes commercialisés. Quelques domaines de quarante hectares et plus, des négociants bien sûr et surtout des coopératives. De ces régions, ce ne sont pas les noms de domaine que le distributeur vend, mais des noms de cépage en IGP, des noms d’appellation d’origine contrôlée (on en compte 357 en France), des marques de négociants et leur propre marque de distribution, souvent élaborée par les coopératives. La performance de ces gammes se mesure davantage par la faiblesse des prix que par la force des caudalies.
La bonne nouvelle pour l’oenophile 2016, c’est le renouveau du métier de caviste. Dans les centres-ville, la mode de la cave bistrot est de retour. Charcuterie et fromages de belles origines sur l’ardoise, murs tapissés de crus signés… Leur o re est généralement en opposition avec celle des super et hypermarchés. Peu de bordeaux et une large place aux vignerons artisans a liés à la mouvance bio, biodynamique et plus radicale des vins dits « naturels ». Ces petites structures sont initiées par des amoureux de la dive bouteille, souvent en reconversion professionnelle, qui prolongent leur engagement par les réseaux sociaux et les nouveaux outils numériques. Dans cet esprit, on voyagera sur les sites de 1jour1vin.com, Carnetdevins.fr, Veilleurdevin.com, Amicalementvin.com, Lacavedespapilles.com ou Vinsnaturels.fr, entre autres. Les applications sur le vin aident aussi la génération du goulot 2.0. Il y a la success story danoise Vivino, le Shazam mondial du vin, qui reconnaît et partage les notations de plusieurs centaines de milliers d’étiquettes. En France, une des applis les plus futées, à la communauté très active, se nomme Raisin, pour trouver, partager les vins naturels où que l’on soit.
L’avenir du bio menacé ?
L’alternative, pour le buveur malin de 2016, est aussi de fréquenter les toujours plus nombreux salons spécialisés. A ce propos, jusqu’à la fin des années 1970, pour se vendre, vignerons et négociants faisaient plus communément et familièrement la « foire ». Dans les années 1980, les grandes surfaces ont confisqué le terme « foires aux vins ». Les producteurs se rassemblent aujourd’hui par a nités plus sélectives. L’active mouvance bio multiplie les événements derrière le salon Millésime Bio (en janvier, à Marseille) et celui de la Dive Bouteille, consacré aux vins nature (en février, à Saumur), père des salons alternatifs. La convivialité en bandoulière, les exposants ne manquent pas de bons plans. Même les magazines et guides spécialisés (« Bettane & Desseauve », « la Revue du Vin de France ») ont satellisé leur salon avec succès.
Un autre enjeu de taille en 2016: l’attitude de la grande distribution face à la croissance de la tendance bio. En 2015, les vins issus de l’agriculture biologique représentaient environ 10% de la production mondiale, selon les estimations de l’Organisation internationale de la vigne et du vin. En France, dans les rayons de la grande distribution, les ventes de bouteilles de vin bio ont augmenté de 7,5 % en un an (16,1 millions de bouteilles en 2015, contre 14,9 millions en 2014). Mais les rapports entre la filière bio et la grande distribution sont tendus.
« Quand vous achetez un vin biologique, vous n’achetez pas que du vin », explique Patrick Boudon, membre du Syndicat des vignerons bio d’Aquitaine. Or il s’alarme des contrats signés bien en deçà du prix de revient, notamment en bordeaux rouge. Après une vague de conversion en agriculture biologique, si l’a ux de vins estampillés AB n’est pas soutenu, les cours risquent de continuer à baisser. Pour rétablir une juste répartition des marges, il demande aux opérateurs de croire en l’avenir du bio, leur assénant que « rien ne justifie, sur le plan économique, des o res aussi faibles ». L’enjeu est de taille.
S’ajoutent à cette tension économique quatre millésimes di ciles, dont le catastrophique 2016 (ayant subi des conditions climatiques pénibles). Le gel de printemps a touché la Champagne, la Bourgogne, le Val-de-Loire. La grêle s’est abattue dans le Beaujolais et en Languedoc-Rousillon. Sans oublier la sécheresse dans tout le pourtour méditerranéen. Dans de nombreuses régions du Nord et de l’Ouest, l’alternance de pluie et de chaleur a favorisé la prolifération du mildiou. Les précipitations ont gêné l’application des traitements contre ce champignon qui impacte le potentiel de production. Ayant eu recours aux traitements chimiques pour stopper la propagation, il semblerait que plusieurs dizaines de vignerons perdront en 2016 leur certification bio. Quant à la qualité du vin millésime 2016, il est encore trop tôt pour se prononcer. Une certitude, les vendanges seront hétérogènes et tardives, étalées sur tout le mois d’octobre.
Conseillé par Béatrice Dominé, oenologue et restauratrice à Nantes, 10-Vins propose aujourd’hui une carte de trente vins compatibles avec la machine, et un objectif de cent à l’avenir, dont 50 % de vins étrangers. A-t-il été facile de convaincre les vignerons de confier leurs précieux nectars à l’innovante machine? « En France, sous prétexte de tradition, on rechigne souvent à l’innovation. Au début, nous avons suscité une levée de boucliers. Mais certains vignerons ont été blu és par le résultat, parfois meilleur que ce qu’ils peuvent obtenir manuellement », confie le dynamique trentenaire.
Convertir le monde du vin aux nouvelles technologies reste cependant un défi dans cet univers encore très traditionnel. Implantée à Nantes, 10-Vins et une dizaine d’autres start-up de la région ont créé une association en juin 2015, la Vigne numérique (voir encadré), pour aller porter la bonne parole du digital dans le vignoble nantais. Les conditions pour en faire partie ? Etre implanté en Loire-Atlantique, travailler pour l’univers du vin et du numérique. « Numérique est encore un “gros mot” pour pas mal de vignerons, remarque Romain Collaire, le vice-président de l’association et fondateur de Grappons-nous, un réseau d’achat groupé de vins de petits producteurs. Constatant que nous étions tous confrontés aux mêmes di cultés pour faire notre place dans le milieu professionnel du vin et faire comprendre notre démarche d’innovation, nous avons créé la Vigne numérique pour intervenir de manière plus informelle auprès des vignerons et des di érents acteurs institutionnels (syndicats viticoles, CCI…), et établir ainsi une passerelle entre ces deux mondes (le vin et le numérique) qui se parlent encore très peu. » Cet été, tous les membres de la Vigne numérique ont mené une grande enquête auprès des vignerons en sillonnant le vignoble nantais à vélo. L’objectif ? Mieux comprendre leurs besoins et voir comment les technologies digitales peuvent y répondre. Les résultats sont attendus pour la fin de cette année.
Rendre la commercialisation du vin plus fun et ludique, c’est le défi que ce sont lancés deux élèves de Télécom Ecole de Management (Evry). « Avec “Vinoga”, nous avons constitué un mixte entre le jeu vidéo “Hay Day”, qui permet de construire sa ferme, et “les Gouttes de Dieu”, le célèbre manga japonais qui a révolutionné l’approche du vin », explique Fanny Garret, l’un des fondateurs. Disponible sur Facebook en accès gratuit depuis octobre 2014, ce jeu vous transforme en véritable vigneron. Il vous faut choisir les cépages, les sols et la méthode de vinification pour créer vos propres cuvées. Là où le concept devient encore plus intéressant, c’est que ces cuvées virtuelles vous sont ensuite proposées à l’achat. Associé aux sites Mabouteille.fr, qui permet de personnaliser les étiquette, et Lesgrappes.com, une place de marché communautaire dédiée aux vins de producteurs, « Vinoga » permet de créer de cuvées qui existent réellement chez les vignerons. Aujourd’hui, Fanny Garret est fière d’annoncer 70000joueurs actifs par mois, l’objectif étant d’atteindre les 100 000. Pour cela, une version mobile devrait voir le jour dans le courant de l’année prochaine.
Avec 400000 bouteilles expédiées et cinq millions d’euros de chi re d’a aires en 2015, Lepetitballon.com fait certainement partie des start-up qui ont le mieux réussi dans l’univers du vin. A l’origine, Martin Ohannessian, diplômé de l’EM Lyon (une grande école de commerce), constate l’ex- plosion des ventes par internet de « box » de vins aux Etats-Unis. Amateur de vin, le monde de l’oenologie l’ennuie, car trop cher et trop vieux. Associé à Jean-Michel Deluc, ancien chef sommelier du Ritz, et Matthieu Lesne, également ancien de l’EM Lyon, il a l’idée de lancer des abonnements de vin en ligne, de les accompagner d’une classification innovante (Le relax, Le bavard, Le banco…) et d’un ton décalé pour expliquer les vins, sans baratin. Avec 20 personnes employées aujourd’hui, le Petit Ballon propose deux abonnements mensuels pour l’envoi de deux bouteilles et « la Gazette du Petit Ballon » : le moins cher est à 19,90 € et l’autre, pour les plus connaisseurs, à 39,90 €. Avec 40000 abonnés actifs, l’entreprise compte bien atteindre, à terme, les 100000 abonnements et doubler son chi re d’a aires en 2016. A partir de septembre, le Petit Ballon devient également un caviste en ligne et propose sa première foire aux vins à partir du 1er septembre.