IMPÔTS E-COMMERCE
Au bonheur des bricoleurs
En 2014, François Hollande voulait accélérer les pourparlers sur le Tafta pour ne pas laisser place « aux peurs et aux crispations ». Aujourd’hui, la France s’apprête à demander le retrait du mandat de négociation confié à la Commission européenne… Que s’est-il passé ? En 2014, on était en début de négociation, il fallait montrer du volontarisme. Mais les choses ont avancé dans le mauvais sens. Nous sommes passés, avec ce type d’accord, dans une nouvelle phase de la mondialisation. Il ne s’agit plus de négocier la baisse des droits de douane, avec des donnant-donnant classiques : une baisse dans l’automobile en contrepartie d’une baisse dans un
autre secteur, etc. Aujourd’hui, on négocie des normes et des règles sur l’alimentation, l’énergie, les politiques publiques, l’environnement… Sur tous ces sujets cruciaux, il est indispensable de mener des négociations très équilibrées et extrêmement ambitieuses, dans lesquelles on fixe les normes de protection le plus élevées possibles. Or ce n’est absolument pas la tournure qu’ont pris les discussions.
Pourquoi ? Les Etats-Unis n’ont bougé sur aucun sujet sérieux : l’accès à leurs marchés publics, bien moins ouverts qu’en Europe, la reconnaissance de notre spécificité agricole… L’ambition d’un tel accord doit être de poser les règles de l’économie pour le xxie siècle : c’est le rôle de ma génération politique de s’atteler à cet objectif. On a assisté à trente années de dérégulation néolibérale, sans évaluation sérieuse, en suivant une pensée économique unique qui n’a jamais vu venir la moindre crise, y compris celle de 2008, et qui multiple les arguments d’autorité ! Face à cela, l’enjeu de demain est celui du retour de la puissance politique. C’est notamment vrai pour les règles environnementales et sociales... Cela n’aurait aucun sens de signer la Cop21 en décembre dernier puis de conclure quelques mois après des accords qui ne tiendraient pas compte de l’urgence climatique. Négocier, oui, on a besoin, mais si les accords commerciaux sont préjudiciables aux intérêts et aux valeurs que nous défendons en Europe, il faut le dénoncer. J’ai travaillé étroitement sur ces questions avec Sigmar Gabriel [ministre allemand de l’Economie, qui a lui aussi constaté dimanche « l’échec » des négociations, alors qu’en Allemagne le traité fait l’objet de vifs débats dans la coalition gouvernementale, NDLR]. La France sera-t-elle seule à demander l’arrêt des négociations ? J’espère que d’autres nous suivront, notre objectif est de construire un consensus. Mais la France assumera ses responsabilités. J’ajoute que la poursuite d’une mauvaise négociation ou la conclusion d’un mauvais accord risquerait de pourrir les relations transatlantiques pour des années. Il vaut mieux crever l’abcès. Ces discussions ont été très mal engagées, dans l’opacité. Il faut tout reprendre sur la base de nouvelles priorités : démocratie, transparence, environnement, emploi… Le commerce n’est pas une fin en soi. Le commerce est une activité qui doit être au service de l’économie et celle-ci doit être au service de l’homme. Au service de buts supérieurs : la préservation de l’environnement, l’élévation du bien-être social... Pourquoi défendre le projet de Ceta (accord eurocanadien), décrit comme le frère jumeau du Tafta par ses opposants ? J’assume le désaccord avec eux. Notre but est de construire des règles pour l’économie, pas de nous recroqueviller sur nous-mêmes. Lorsque les accords commerciaux sont bons, il faut les soutenir. Sur de très nombreux points, le Ceta est l’anti-Tafta : c’est vrai pour la reconnaissance de notre modèle agricole (notamment avec les appellations d’origine contrôlée), sur l’accès à tous les marchés publics canadiens (ce qui est décisif pour nos PME) et l’arbitrage des différends commerciaux. Après l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir, le Canada a accepté de rouvrir les négociations pour intégrer ma proposition de remplacer la procédure d’arbitrages privés par une cour de justice internationale des investissements, avec des juges publics et des règles strictes de déontologie.
Reste que l’urgence climatique n’est pas au coeur du Ceta... C’est vrai, car ce n’était pas dans le mandat de négociation, mais il n’y a rien de contradictoire dans le Ceta avec les exigences environnementales. Tout ceci se construit en ce moment même, j’y serai extrêmement vigilant. La gauche a-t-elle pris conscience de la violence de la mondialisation ? Mon évolution politique a été extrêmement marquée par mon expérience d’élu local dans le Lot-et-Garonne. J’ai vu sur le terrain le lourd tribut payé par certains territoires (en termes d’emplois, de disparition de l’outil industriel…) à l’ouverture des marchés. Il y a beaucoup de gagnants – et parfois de grands gagnants ! – dans cette mondialisation, mais les perdants paient cash. C’est vrai en France, mais aussi au Royaume-Uni ou même en Allemagne, après les réformes Schröder sur le marché du travail qui ont conduit à un développement généralisé de la précarité. Le rôle de ma génération politique, ce n’est pas de prêcher benoîtement des dogmes qui, depuis trente ans, traînent dans toutes les copies de Sciences-Po et qui ne convainquent que dans trois arrondissements de Paris. C’est d’être lucide et, sans pour autant se recroqueviller, de garder à l’esprit que beaucoup de gens vivent la mondialisation néolibérale comme une grande violence. Vous êtes pourtant un réformiste ? Dans la mondialisation actuelle, on ne peut se contenter d’être un« gentil social-réformiste » Il est vrai que j’ai travaillé, c’est-à-dire milité, aux côtés de Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn ou Pierre Moscovici, avec l’idée que le réformisme, c’est bien, à condition que la réforme apporte des progrès. Or « réforme » est devenu un mot fétiche du néolibéralisme et, dans l’esprit des gens, c’est un synonyme d’abaissement des normes sociales, de pression sur les salaires (toujours les mêmes d’ailleurs) et d’érosion des droits. Il faut inventer une nouvelle social-démocratie, qui s’appuie sur la réalité d’un pays, sur sa vitalité entrepreneuriale et syndicale et qui sorte du compromis approximatif. La social-démocratie, ce n’est pas le renoncement, c’est une exigence, une volonté de peser sur les rapports de force pour les inverser. Elle doit aussi tenir compte de l’urgence environnementale et intégrer le fait que le monde a changé après trente années de dérégulation et la crise de 2008.
Plaidez-vous pour une démondialisation ? Il ne faut surtout pas donner aux gens l’impression que les recettes d’hier fonctionneront demain. Si la démondialisation, c’est la nostalgie, c’est non ! On ne trouvera pas les réponses aux problèmes de l’économie d’aujourd’hui dans le rétroviseur. Pas plus dans l’économie administrée, fermée sur elle-même, que dans le blairisme, une doctrine des années 1990, c’est-à-dire il y a déjà plus de vingt ans ! Il faut inventer de nouvelles solutions, de nouvelles voies, travailler sur le fond. Réfléchir aussi à une nouvelle République, qui permette de mieux aborder ces enjeux, avec un septennat non renouvelable, un Parlement moins nombreux mais plus puissant. Beaucoup de gens se retrouvent dans cette démarche. Nous allons bientôt nous structurer en association. Pas seulement pour nourrir la campagne électorale qui est toujours un moment majeur de la vie politique, mais pour engager une réflexion de longue haleine.
“La socialdémocratie, ce n’est pas le renoncement.”