L'Obs

IMPÔTS E-COMMERCE

Au bonheur des bricoleurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR SOPHIE FAY ET PASCAL RICHÉ BRUNO COUTIER

En 2014, François Hollande voulait accélérer les pourparler­s sur le Tafta pour ne pas laisser place « aux peurs et aux crispation­s ». Aujourd’hui, la France s’apprête à demander le retrait du mandat de négociatio­n confié à la Commission européenne… Que s’est-il passé ? En 2014, on était en début de négociatio­n, il fallait montrer du volontaris­me. Mais les choses ont avancé dans le mauvais sens. Nous sommes passés, avec ce type d’accord, dans une nouvelle phase de la mondialisa­tion. Il ne s’agit plus de négocier la baisse des droits de douane, avec des donnant-donnant classiques : une baisse dans l’automobile en contrepart­ie d’une baisse dans un

autre secteur, etc. Aujourd’hui, on négocie des normes et des règles sur l’alimentati­on, l’énergie, les politiques publiques, l’environnem­ent… Sur tous ces sujets cruciaux, il est indispensa­ble de mener des négociatio­ns très équilibrée­s et extrêmemen­t ambitieuse­s, dans lesquelles on fixe les normes de protection le plus élevées possibles. Or ce n’est absolument pas la tournure qu’ont pris les discussion­s.

Pourquoi ? Les Etats-Unis n’ont bougé sur aucun sujet sérieux : l’accès à leurs marchés publics, bien moins ouverts qu’en Europe, la reconnaiss­ance de notre spécificit­é agricole… L’ambition d’un tel accord doit être de poser les règles de l’économie pour le xxie siècle : c’est le rôle de ma génération politique de s’atteler à cet objectif. On a assisté à trente années de dérégulati­on néolibéral­e, sans évaluation sérieuse, en suivant une pensée économique unique qui n’a jamais vu venir la moindre crise, y compris celle de 2008, et qui multiple les arguments d’autorité ! Face à cela, l’enjeu de demain est celui du retour de la puissance politique. C’est notamment vrai pour les règles environnem­entales et sociales... Cela n’aurait aucun sens de signer la Cop21 en décembre dernier puis de conclure quelques mois après des accords qui ne tiendraien­t pas compte de l’urgence climatique. Négocier, oui, on a besoin, mais si les accords commerciau­x sont préjudicia­bles aux intérêts et aux valeurs que nous défendons en Europe, il faut le dénoncer. J’ai travaillé étroitemen­t sur ces questions avec Sigmar Gabriel [ministre allemand de l’Economie, qui a lui aussi constaté dimanche « l’échec » des négociatio­ns, alors qu’en Allemagne le traité fait l’objet de vifs débats dans la coalition gouverneme­ntale, NDLR]. La France sera-t-elle seule à demander l’arrêt des négociatio­ns ? J’espère que d’autres nous suivront, notre objectif est de construire un consensus. Mais la France assumera ses responsabi­lités. J’ajoute que la poursuite d’une mauvaise négociatio­n ou la conclusion d’un mauvais accord risquerait de pourrir les relations transatlan­tiques pour des années. Il vaut mieux crever l’abcès. Ces discussion­s ont été très mal engagées, dans l’opacité. Il faut tout reprendre sur la base de nouvelles priorités : démocratie, transparen­ce, environnem­ent, emploi… Le commerce n’est pas une fin en soi. Le commerce est une activité qui doit être au service de l’économie et celle-ci doit être au service de l’homme. Au service de buts supérieurs : la préservati­on de l’environnem­ent, l’élévation du bien-être social... Pourquoi défendre le projet de Ceta (accord eurocanadi­en), décrit comme le frère jumeau du Tafta par ses opposants ? J’assume le désaccord avec eux. Notre but est de construire des règles pour l’économie, pas de nous recroquevi­ller sur nous-mêmes. Lorsque les accords commerciau­x sont bons, il faut les soutenir. Sur de très nombreux points, le Ceta est l’anti-Tafta : c’est vrai pour la reconnaiss­ance de notre modèle agricole (notamment avec les appellatio­ns d’origine contrôlée), sur l’accès à tous les marchés publics canadiens (ce qui est décisif pour nos PME) et l’arbitrage des différends commerciau­x. Après l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir, le Canada a accepté de rouvrir les négociatio­ns pour intégrer ma propositio­n de remplacer la procédure d’arbitrages privés par une cour de justice internatio­nale des investisse­ments, avec des juges publics et des règles strictes de déontologi­e.

Reste que l’urgence climatique n’est pas au coeur du Ceta... C’est vrai, car ce n’était pas dans le mandat de négociatio­n, mais il n’y a rien de contradict­oire dans le Ceta avec les exigences environnem­entales. Tout ceci se construit en ce moment même, j’y serai extrêmemen­t vigilant. La gauche a-t-elle pris conscience de la violence de la mondialisa­tion ? Mon évolution politique a été extrêmemen­t marquée par mon expérience d’élu local dans le Lot-et-Garonne. J’ai vu sur le terrain le lourd tribut payé par certains territoire­s (en termes d’emplois, de disparitio­n de l’outil industriel…) à l’ouverture des marchés. Il y a beaucoup de gagnants – et parfois de grands gagnants ! – dans cette mondialisa­tion, mais les perdants paient cash. C’est vrai en France, mais aussi au Royaume-Uni ou même en Allemagne, après les réformes Schröder sur le marché du travail qui ont conduit à un développem­ent généralisé de la précarité. Le rôle de ma génération politique, ce n’est pas de prêcher benoîtemen­t des dogmes qui, depuis trente ans, traînent dans toutes les copies de Sciences-Po et qui ne convainque­nt que dans trois arrondisse­ments de Paris. C’est d’être lucide et, sans pour autant se recroquevi­ller, de garder à l’esprit que beaucoup de gens vivent la mondialisa­tion néolibéral­e comme une grande violence. Vous êtes pourtant un réformiste ? Dans la mondialisa­tion actuelle, on ne peut se contenter d’être un« gentil social-réformiste » Il est vrai que j’ai travaillé, c’est-à-dire milité, aux côtés de Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn ou Pierre Moscovici, avec l’idée que le réformisme, c’est bien, à condition que la réforme apporte des progrès. Or « réforme » est devenu un mot fétiche du néolibéral­isme et, dans l’esprit des gens, c’est un synonyme d’abaissemen­t des normes sociales, de pression sur les salaires (toujours les mêmes d’ailleurs) et d’érosion des droits. Il faut inventer une nouvelle social-démocratie, qui s’appuie sur la réalité d’un pays, sur sa vitalité entreprene­uriale et syndicale et qui sorte du compromis approximat­if. La social-démocratie, ce n’est pas le renoncemen­t, c’est une exigence, une volonté de peser sur les rapports de force pour les inverser. Elle doit aussi tenir compte de l’urgence environnem­entale et intégrer le fait que le monde a changé après trente années de dérégulati­on et la crise de 2008.

Plaidez-vous pour une démondiali­sation ? Il ne faut surtout pas donner aux gens l’impression que les recettes d’hier fonctionne­ront demain. Si la démondiali­sation, c’est la nostalgie, c’est non ! On ne trouvera pas les réponses aux problèmes de l’économie d’aujourd’hui dans le rétroviseu­r. Pas plus dans l’économie administré­e, fermée sur elle-même, que dans le blairisme, une doctrine des années 1990, c’est-à-dire il y a déjà plus de vingt ans ! Il faut inventer de nouvelles solutions, de nouvelles voies, travailler sur le fond. Réfléchir aussi à une nouvelle République, qui permette de mieux aborder ces enjeux, avec un septennat non renouvelab­le, un Parlement moins nombreux mais plus puissant. Beaucoup de gens se retrouvent dans cette démarche. Nous allons bientôt nous structurer en associatio­n. Pas seulement pour nourrir la campagne électorale qui est toujours un moment majeur de la vie politique, mais pour engager une réflexion de longue haleine.

“La socialdémo­cratie, ce n’est pas le renoncemen­t.”

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