L'Obs

Théatre-Cinéma « Réparer les vivants », les adaptation­s du roman de Maylis de Kerangal

“Réparer les vivants”, beau roman à succès de MAYLIS DE KERANGAL, fait l’objet de deux adaptation­s : l’une au théâtre, l’autre au cinéma. Tout les oppose

- PAR GRÉGOIRE LEMÉNAGER

THÉÂTRE : EN SOLO

Sur le papier, l’opération semblait désespérée. Allez donc incarner sur scène, tout seul, un roman aussi polyphoniq­ue, riche, documenté que « Réparer les vivants ». Emmanuel Noblet (ci-dessus), 40 ans, a trouvé la solution. Porté par la prose souple et compacte de Maylis de Kerangal, il raconte cette bouleversa­nte histoire de transplant­ation cardiaque en se transplant­ant lui-même les coeurs de tous les personnage­s. Ici, une planche de surf sous le bras, il est le garçon plein de vie qui, bientôt, va se trouver en état de mort cérébrale après un accident de la route. Là, il enfile une blouse blanche pour nous introduire en réa et expliquer à des parents dévastés ce qu’est le don d’organe (« la possibilit­é du refus est aussi la condition du don »). Et là, un drap tendu entre deux chaises, il est le chirurgien un peu beauf qui devient un magicien en salle d’op lorsqu’il s’agit de prélever un coeur qui bat.

Comment fait-il, ce comédien rouennais, pour nous dire en une heure vingt autant de choses sur la vie, la mort et ses définition­s multiples, la science, l’amour, la douleur, le milieu hospitalie­r ? Mystère. Il y arrive en tout cas si bien que son spectacle, qui a triomphé dans le « off » d’Avignon en 2015, a fait salle comble en septembre au Rond-Point, à Paris, avant de continuer sa tournée à travers la France. Les mots de Kerangal, qui injectent du lyrisme jusque dans les données techniques (et réciproque­ment), y sont pour beaucoup. Ils n’ont pas séduit pour rien plusieurs centaines de milliers de lecteurs depuis la sortie du roman, en janvier 2014. Mais encore fallait-il choisir quels passages garder, et lesquels passer sous silence. Noblet a parfaiteme­nt choisi. Son adaptation est exemplaire parce qu’il sait se taire quand il faut, juste le temps qu’il faut. Il sait tout jouer avec quelques voix off, des éclairages impeccable­s, un extrait de « Kind of Blue », « La nuit je mens » de Bashung. Et vous savez quoi ? Il sait même être drôle, jusqu’au milieu de la tragédie.

CINÉMA : EN MÉLO

Sur le papier, la greffe promettait de prendre. Avec son sens très visuel du décor, son goût pour la langue orale et ses nombreux personnage­s qui se relaient à tour de rôle autour d’un coeur encore palpitant, le roman de Maylis de Kerangal avait bien quelque chose de cinématogr­aphique. De son côté, avec sa sensibilit­é à la Pialat et un casting engageant (Emmanuelle Seigner, Kool Shen, Dominique Blanc…), la réalisatri­ce de « Suzanne » ne manquait pas d’atouts pour porter « Réparer les vivants » à l’écran. Bizarremen­t, elle n’y arrive qu’à moitié. L’ouverture est splendide, avec un long plan-séquence, dans les rues du Havre, à l’aube, sur un jeune garçon qui pédale et glisse sans le savoir vers la mort (Gabin Verdet, photo). Suit une mémorable et ultime séance de surf dans l’eau glacée. Puis une façon assez fantastiqu­e de filmer ce qui se passe quand on somnole au volant, sur la route du retour, après s’être pris des vagues pendant une heure ou deux.

Le reste est plus inégal. Malgré quelques excellente­s scènes d’hôpital, notamment avec Tahar Rahim dans le rôle du coordinate­ur de greffe et Bouli Lanners en chef de service hirsute, le film ajoute du sentiment à un scénario qui n’avait vraiment pas besoin de ça : musique insistante ; abondance de gros plans sur les visages en larmes des parents, quand ils comprennen­t que leur fils est fichu. La deuxième partie bascule plus franchemen­t encore dans le mélo, avec l’introducti­on appuyée d’une histoire d’amour entre une femme à bout de souffle (Anne Dorval) et une pianiste à qui elle a préféré cacher sa maladie (Alice Taglioni). C’est dommage. Non seulement tout ça évacue la réflexion qui a mené au don d’organes, mais le développem­ent excessif de ces personnage­s, aux dépens de ceux qui composent le corps médical, finit par compromett­re la dimension documentai­re et le bel équilibre démocratiq­ue qui faisaient, aussi, la valeur du roman.

 ??  ?? « Réparer les vivants », adapté, mis en scène et interprété par Emmanuel Noblet, en tournée jusqu’au 23 mai 2017.
« Réparer les vivants », adapté, mis en scène et interprété par Emmanuel Noblet, en tournée jusqu’au 23 mai 2017.
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« Réparer les vivants », par Katell Quillévéré, en salles le 1er novembre.

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