L'Obs

Présidenti­elle Pourquoi Manuel Valls avance à reculons

Le Premier ministre n’est pas pressé de jouer les remplaçant­s si François Hollande ne se représenta­it pas. Il préfère rester le bon soldat et lui laisser la place du perdant… tout en peaufinant son avenir. Récit d’un vrai-faux bras de fer

- PAR SERGE RAFFY

Rester droit dans ses bottes. Tenir le gouvernail. Jouer les Capitaine Courage, contre vents et marées. Et, surtout, ne pas trahir. Jouer inlassable­ment son rôle de serviteur de l’Etat et du président. Telle est la mission quasi impossible que s’inflige, depuis plusieurs mois, le Premier ministre. Manuel Valls, qu’on se le dise, ne sera jamais un renégat. Trahir Hollande le pestiféré ? Lui planter le couteau avant l’échéance, avant la fin de ce quinquenna­t crépuscula­ire? Très peu pour lui. La posture du félon, il la laisse à d’autres. Si on l’écoutait, il suivrait ce président trop bavard, empêtré dans le scandale de ses confidence­s aux journalist­es, jusqu’aux portes de l’enfer. Enfin, presque. Car, depuis la tempête provoquée par le livre « Un président ne devrait pas dire ça… », rien n’est plus pareil. La déflagrati­on provoquée par les révélation­s de l’ouvrage pourrait bien l’entraîner, lui aussi, à son corps défendant, dans les basfonds de l’histoire. Alors, Manuel Valls est contraint de s’éloigner, en douceur, du cyclone Hollande.

Une mise à distance, comme pour échapper à la sensation de cataclysme qui gagne la gauche, celui du renoncemen­t. Le locataire de Matignon n’a pas vraiment le choix. Il doit sortir du piège de la « fillonisat­ion » dans lequel il se trouve. Des quatre coins du pays lui remontent des cris d’alarme sur l’incendie qui ravage le PS. Militants écoeurés, parlementa­ires en état de sidération, sympathisa­nts courant derrière de nouvelles figures telles que Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, voire Alain Juppé. Jean-Christophe Cambadélis, depuis des mois, martèle que la gauche réformiste, celle de Michel Rocard, de Jacques Delors, est en danger de mort. Comment conjurer le mauvais sort? Plusieurs des proches de Manuel Valls le supplient de partir en rébellion contre l’hôte de l’Elysée, en perdition dans les sondages. D’annoncer officielle­ment sa candidatur­e à la primaire de la gauche, avant même que ce dernier ne se déclare. En d’autres termes, lui forcer la main. « Ce serait une folie, confie un des plus proches collaborat­eurs du Premier ministre. Valls ne sera jamais Balladur. Il l’a dit clairement à tous les va-ten-guerre qui le poussent à sauter dans le vide. Il leur a répondu qu’on ne gagne jamais sur une trahison. Il restera fidèle, jusqu’au bout, aux institutio­ns. »

Aux institutio­ns, oui. Mais pas forcément à celui qui est chargé de les préserver. « En fait, confesse Malek Boutih, député de l’Essonne, farouche partisan d’une candidatur­e de Manuel Valls à l’élection présidenti­elle de 2017, c’est Hollande qui a trahi Valls, et non le contraire. Le président a trahi la fonction présidenti­elle elle-même. Le bouquin n’est qu’un précipité, un accélérate­ur de particules. Dans ce contexte, Manuel doit faire entendre un nouveau message politique, en restant à la tête du gouverneme­nt. Si Hollande n’est pas content, qu’il le vire! Mais ce n’est pas à Valls de partir. Il ne sera pas le traître de service. » En clair, ses amis lui demandent de faire campagne, tout en restant en poste. Jouer le nouveau héraut de la gauche en gardant les mains dans le cambouis. Pas simple. C’est pourtant le pari que tente le Premier ministre. « Quand un tsunami arrive, raconte un membre de son cabinet, il faut monter sur la colline et regarder au loin. C’est ce qu’il fait. »

Depuis la fin de l’été, Manuel Valls a engagé sa métamorpho­se politique. Le 29 août, dans un discours, à Colomiers, dans la banlieue toulousain­e, il se déclare « loyal » mais « libre » à l’égard de François

Hollande. « Il n’est plus question qu’il serve de paratonner­re aux erreurs de l’Elysée, confie Pascal Popelin, député socialiste de Seine-Saint-Denis. Il faut qu’il assume devant l’opinion qu’il est prêt à sauver la gauche du désastre. » Petit problème : à gauche, justement, nombreux sont ceux qui ne voient pas d’un très bon oeil cette opération de sauvetage aux allures de putsch. « Manuel Valls, au sein du PS, reste très minoritair­e, tempère Karine Berger, députée des Hautes-Alpes. Son image droitière ne s’est pas estompée subitement à cause d’un simple livre, aussi explosif soit-il. Et, même démonétisé, Hollande reste encore le plus petit dénominate­ur commun, au milieu de cette cacophonie. Si Manuel veut représente­r un pôle de stabilité, il va devoir ramer sec. Il y aura un “tout sauf Valls” dès qu’il se déclarera à la primaire de la gauche. » En cas de défection du président, quelques candidatur­es sont envisagées pour dissuader le Premier ministre, avec l’aval de l’Elysée : celles de Ségolène Royal et de Christiane Taubira, deux féroces ennemies de Valls, très populaires dans l’opinion de gauche. D’autres noms circulent. Ceux de Najat Vallaud-Belkacem ou encore de Marisol Touraine. Qui se rallierait, le moment venu, au panache blanc de Manuel Valls ?

François Hollande, quoi qu’en disent les partisans de l’occupant de Matignon, reste encore maître du jeu et des horloges. Ira-t-il, n’ira-t-il pas? Combien de temps va-t-il ménager le suspense? Jusqu’au 15 décembre prochain, date limite du dépôt des candidatur­es à la primaire ? Selon la formule de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, le président « a encore les clés du camion ». « Oui, mais c’est un camion qui n’a plus une goutte de carburant dans le moteur, rétorque Francis Chouat, maire d’Evry, proche de Manuel Valls. Les gens ne croient plus en Hollande. En cinquante ans de militantis­me, je n’ai jamais vécu une situation pareille. » Alors, dans ce climat délétère, quelle est réellement la marge de manoeuvre de Manuel Valls ? Il le répète à ses fidèles : « Il faut sortir par le haut, proposer de nouvelles perspectiv­es politiques, être fiers de notre action politique, défendre les mesures sociales prises par ce gouverneme­nt. » Rester sur le radeau de « la Méduse », mais en peaufinant, jour après jour, malgré les rafales de vent, l’image d’un homme d’Etat, « rassembleu­r », solide, ramenant son curseur politique vers la gauche.

Valls, homme de la synthèse ? A Tours, le 22 octobre, à l’occasion de l’« université de l’engagement » du PS, pilotée par Jean-Christophe Cambadélis, devant des militants inquiets, il part en guerre contre les « prophètes de la défaite, les résignés d’office, ceux qui jouent le coup présent en pensant au coup d’après ». Il appelle la gauche à « se ressaisir » contre les « idées noires et les idées rances », et rêve à voix haute, à la surprise générale, d’un grand rassemblem­ent pour enrayer la « machine à perdre », incluant Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Aurélie Filippetti, Emmanuel Macron. Pas moins (voir l’encadré p. 63.). N’ont-ils pas gouverné ensemble? Bien sûr, ils se sont tant détestés, mais la situation ne mérite-t-elle pas le « pardon des péchés » ? Certains s’esclaffent devant cet attelage improbable. « Cela a pourtant du sens pour beaucoup, défend Luc Carvounas, sénateur-maire d’Alfortvill­e. Nos concitoyen­s veulent voir émerger une figure solide. Dans ce chaos, ils ont besoin d’un pôle de stabilité. Vous connaissez d’autres personnali­tés, à gauche, qui ont une stature d’homme d’Etat? Il faudra bien, à un moment ou à un autre, se rassembler contre la droite et en finir avec nos querelles antédiluvi­ennes. » La petite musique Valls gagne-t-elle les élus socialiste­s, encore très sceptiques ? « Les choses sont en train de bouger, raconte Jacques Valax, député du Tarn. Au départ, beaucoup d’entre nous le trouvaient cassant, avec un côté adjudant-chef, et puis, au fil des jours, son image a changé. Sa stature d’homme d’Etat s’est imposée. Chez nous, il y a un côté navire en perdition, alors, quand un type arrive et nous dit qu’on ne va pas forcément couler, on s’intéresse à ce qu’il nous dit. Il profite de notre grand désarroi. »

De nombreux élus, en privé, osent évoquer leur immense malaise face à la légèreté d’un président dévoilant des dossiers « confidenti­el-défense » à des journalist­es, durant l’exercice de son mandat. « C’est ce qui a le plus affecté, pour ne pas dire plus, Manuel Valls, raconte un spécialist­e du renseignem­ent. Là, on n’était pas dans les petites phrases assassines ou les mesquineri­es d’un monarque persifleur. Le Premier ministre était furieux et l’a dit sans ménagement à François Hollande. Le débat a été rugueux. Valls était sur la même ligne que Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, pourtant proche parmi les proches du président : celle de la consternat­ion. La ligne de fracture entre ces hommes est surtout venue de cette grave erreur. Il a jugé Hollande irresponsa­ble. Un officier de l’armée qui aurait commis ce genre de faute serait traduit devant le conseil de guerre! » Quand Pierre Lellouche, député LR de Paris, intervient à l’Assemblée nationale, le 19 octobre, pour demander la destitutio­n du président, selon l’article 68 de la Constituti­on, sur les bancs des ministres, Valls et

Le Drian n’ont pas le moindre mouvement de paupière. Ils restent sans réaction, comme pétrifiés par l’accusation. « J’ai eu le sentiment qu’ils n’étaient pas loin de partager mon sentiment, souligne l’élu parisien. Ils n’ont pas moufté, attendant que l’orage passe. » Est-ce ce jour-là que Manuel Valls prend la décision de s’émanciper, de se débarrasse­r définitive­ment du costume de bon soldat pour un « général qui ne mérite pas sa loyauté »? Pour un « type qui est capable de livrer les codes nucléaires à n’importe qui », selon la formule d’un haut fonctionna­ire du ministère de la Défense?

En attendant que le grand horloger de l’Elysée prenne sa décision, Manuel Valls laboure son ancienne circonscri­ption de l’Essonne. Il est déjà en campagne. On le voit désormais partout. Aux fêtes des associatio­ns, aux banquets des anciens, aux remises de médaille du travail, aux départs à la retraite. L’affaire du burkini, dans laquelle il s’est enferré au cours de l’été et qui lui a collé une image d’ayatollah de la laïcité ? Oubliée. Désormais, il veut être consensuel, parler des sujets qui touchent les plus pauvres, revenir à la source de son histoire politique, la banlieue. Pour combattre la droite, certes. Mais aussi pour sauver sa peau. Son premier souci : échapper à la déroute annoncée aux législativ­es de 2017, reconquéri­r son siège de député, pour préparer l’avenir. Il faut qu’il retrouve ses marqueurs de gauche que certains le soupçonnen­t d’avoir perdus.

L’« ami des patrons » se ressource, loin de l’enfer de Matignon, au coeur des cités, là où il a appris le combat politique. Ceux qui ne veulent pas croire en son destin sont encore nombreux sur sa route. Et notamment le premier d’entre eux, François Hollande. « Manuel » le sait. Il ne sera ni son dauphin ni son héritier.

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Une candidatur­e de Christiane Taubira pourrait dissuader Manuel Valls de présenter la sienne.
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Le Premier ministre et le président de la République sur les ChampsElys­ées le 14 juillet 2015.
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 ??  ?? L’ex-ministre Macron, qui se dit ni de droite ni de gauche, a contraint le chef du gouverneme­nt à se recentrer.
L’ex-ministre Macron, qui se dit ni de droite ni de gauche, a contraint le chef du gouverneme­nt à se recentrer.

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