L'Obs

Le dessous des cartes A quoi joue Bolloré à iTélé ?

Alors que ses journalist­es font grève, la violente et déroutante gestion de la chaîne d’informatio­n par l’homme d’affaires breton pousse à s’interroger. Compte-t-il vraiment tout changer? Ou simplement s’en débarrasse­r?

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Aquoi joue Bolloré? Quelle est sa stratégie pour iTélé, dont les salariés entamaient le 24 octobre une deuxième semaine de grève? Compte-t-il vraiment tout changer pour en faire une chaîne d’« infotainme­nt » qui fera la promotion des autres activités de l’empire Vivendi? Ou espère-t-il simplement se débarrasse­r de sa chaîne tout-info? « C’est LA grande question qui agite tout le monde depuis un an, analyse un cadre de l’antenne. Et à laquelle personne ne sait répondre. » « Bâtir un projet sur un champ de ruines : est-ce que c’est l’idée de la direction? s’interroge Guillaume Auda, grand reporter et porte-parole de la rédaction. C’est une question légitime aujourd’hui. » « Une chose est sûre, remarque un autre journalist­e; quand la direction nous dit que CNews [futur nom de la chaîne, NDLR] sera bâtie autour de quatre piliers : le cinéma, la culture, le sport et l’internatio­nal, on remarque que le mot “actualité” n’est pas prononcé. »

« Vincent a le projet de créer en Europe un groupe d’entertainm­ent d’envergure mondiale, confie à “l’Obs” un proche du clan Bolloré. L’affaire iTélé, pour lui, c’est secondaire. Il s’en fout. Même si c’est ennuyeux pour son image. Ce qui lui importe vraiment, c’est la valeur de ses titres. » C’est là que le bât blesse : le mois dernier, le groupe Bolloré publiait un bénéfice net du groupe en chute de 27%. De quoi faire perdre le sourire au « smiling killer » ? Difficile en tout cas de ne pas faire le lien entre ces résultats et les crises qui s’accumulent depuis le rachat de Canal+ par l’industriel breton.

A iTélé, les premières têtes sont tombées à l’automne dernier. Le 4 septembre 2015, Vincent Bolloré, maître de Vivendi tout juste intronisé président du conseil de surveillan­ce de Canal+, décapite brusquemen­t l’état-major de la chaîne d’info en continu. A la surprise générale, Céline Pigalle et Cécilia Ragueneau, respective­ment directrice de la rédaction et directrice générale de la chaîne, sont débarquées. Une semaine plus tard, c’est au tour de la secrétaire générale, Laure Bezault, d’être évincée. Bolloré déroule son jeu. Violent, déroutant, imprévisib­le. La méthode est brutale, les salariés de la chaîne d’informatio­n du groupe Canal+ sont sonnés. Ils n’ont encore rien vu.

Un an plus tard, après des mois de flou, d’incertitud­e et de spéculatio­ns quant à son devenir, la succursale de Canal+ traverse une crise sans précédent, déclenchée par l’arrivée, le 17 octobre, de Jean-Marc Morandini. Mis en examen pour « corruption de mineur aggravée », l’animateur a été imposé à ses équipes par Bolloré himself. Remontés à bloc contre le tycoon breton et son homme de main, le directeur général de la chaîne Serge Nedjar, les salariés d’iTélé se mettent très vite en grève. Les revendicat­ions des grévistes? La signature d’une charte d’éthique censée garantir aux journalist­es une totale indépendan­ce, le refus de voir Nedjar cumuler son titre avec celui de patron de la rédaction et le retrait de l’antenne de Morandini. La rédaction, qui peine à saisir les intentions réelles de Bolloré, exige également la « définition d’un projet stratégiqu­e et éditorial clair ». La réplique de Bolloré et ses hommes a été féroce : sitôt les premières protestati­ons venues, l’ouverture d’une « clause de conscience », permettant aux journalist­es opposés à l’idée de collaborer avec Morandini de quitter la chaîne avec des indemnités, a aussitôt été annoncée. En clair, iTélé version Bolloré, tu l’aimes ou tu la quittes. Plusieurs figures de la chaîne ont annoncé leur départ, notamment le spécialist­e des questions internatio­nales Olivier Ravanello, opposant de la première heure de Vincent Bolloré et ex-président de la société des journalist­es, ou encore le directeur adjoint de la rédaction Alexandre Ifi. D’autres pourraient leur emboîter le pas. « Ça va très mal se finir, beaucoup vont partir », craint un reporter. « C’est une chaîne qu’on enterre », se désole un autre.

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« L’affaire iTélé, pour lui, c’est secondaire. Il s’en fout », selon un proche du groupe.
Vincent Bolloré. « L’affaire iTélé, pour lui, c’est secondaire. Il s’en fout », selon un proche du groupe.

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