L'Obs

Sur le vif La salle de shoot ouvre ses portes

La première “salle de shoot” vient d’ouvrir à Paris. Un lieu sécurisé et propre, décrié par les riverains, où les toxicomane­s sont encadrés

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Pas de numéro ni de plaque. Et le portail vert amande, qui donne sur la rue, décourage les regards inquisiteu­rs. Tout est fait pour que le lieu, situé dans l’enceinte de l’hôpital Lariboisiè­re à Paris, se fonde dans le décor. Et pourtant, question discrétion, c’est raté : impossible de manquer les multiples pancartes jaune pétant « Non à la salle de shoot dans un quartier résidentie­l » qui recouvrent l’immeuble haussmanni­en d’à côté.

Sur le trottoir, des hommes, sacs défoncés sur le dos ou bien sacs en plastique Leader Price pleins à craquer à la main. Ils s’engouffren­t par petites grappes à intervalle­s réguliers dans la « salle de consommati­on à moindre risque », nom officiel donné à cet espace géré par l’associatio­n Gaïa Paris. Les toxicomane­s viennent pour s’y injecter la substance de leur choix. Presque pas d’héroïne, comme on pourrait l’imaginer, mais surtout du Skenan, un puissant antidouleu­r donné aux cancéreux, ou bien encore du Subutex, un substitut de l’héroïne. Objectif de la salle, ouverte sept jours sur sept de 13h30 à 20h30 : offrir aux consommate­urs de drogues un cadre sécurisé et propre, grâce à la distributi­on de kits d’injection, de désinfecta­nt, de savon. L’emplacemen­t n’a pas été choisi au hasard. Ici, à deux pas de la gare du Nord, deal et consommati­on battent leur plein depuis de nombreuses années. « Une scène ouverte », comme l’explique Eric Renard. L’éducateur de Gaïa Paris ne comprend pas la colère des riverains qui se sont opposés au projet des mois durant : « Ils craignaien­t l’arrivée de drogués. Mais ils étaient déjà là avant la salle, quotidienn­ement, devant leurs yeux ! »

En ce jour d’ouverture, l’agent de sécurité dans la cour qui mène à la salle est sur les dents, l’équipe de Gaïa Paris aussi. Les journalist­es ne sont pas les bienvenus. « Seuls les consommate­urs peuvent entrer ! » On profite de la confusion pour jeter quand même un oeil à l’intérieur. La première pièce, vaste, aseptisée, ressemble en tous points à la salle d’attente d’un hôpital, avec ses murs blancs immaculés, ses chaises alignées au fond. Les larges baies vitrées ont pour seul horizon la cour bétonnée, où un jeune toxico en sweat à capuche sirote une 8,6 avant de rentrer. Ici, les règles sont strictes. L’usager doit se présenter au comptoir rose fuchsia, sur lequel est posé un casier débordant de préservati­fs. Il montre ce qu’il veut s’injecter, prend un numéro, puis attend d’être appelé pour pénétrer dans « la salle de conso » située à l’arrière. Douze toxicomane­s au maximum y sont admis simultaném­ent. Ils peuvent également fumer du crack, mais à condition… d’être d’abord venus pour s’injecter un stupéfiant ou un autre produit. « On veut attirer les toxicomane­s à haut risque, c’est-à-dire ceux qui utilisent des seringues, pas forcément élargir aux autres usagers, explique trois jours après l’ouverture Céline de Beaulieu, coordinatr­ice du projet. Nous connaisson­s la plupart de ceux qui sont venus, nous les avons rencontrés lors de maraudes avec notre bus dans le quartier. Dans la salle, ils peuvent voir un assistant social, un médecin ou un infirmier. » Profil type des « usagers » : « Des polyconsom­mateurs, 35 ans et plus, deux tiers d’hommes, un tiers de femmes, très précaires, qui vivent de la mendicité », décrit Eric Renard. Tel Mehdi, la petite quarantain­e, le visage émacié. Il fait la manche à Pigalle, dort dans des parkings. « Je ne prends plus d’héroïne, c’est de la merde. Je préfère le Skenan. La dose coûte 5 euros. Mais quand le RSA arrive, tout le monde en achète d’un coup et il n’y en a presque plus, les prix montent. » Mehdi fume aussi du crack et prend de la coke, réservée aux grands jours. « “L’écaille de poisson” à 80 euros le gramme, c’est la meilleure », assuretil.

Retour sur le trottoir. « T’as de la méth [méthadone, un autre substitut de l’héroïne, NDLR] ? J’ai plus de Sken [Skenan]. On n’a pas le droit de fumer du crack à l’intérieur », lance à la cantonade une jeune femme en treillis, dreadlocks ramassées en boule sur la tête, après un passage express dans la salle. Nul ne sait si cette parfaite incarnatio­n de la « teufeuse » tractée par deux gros chiens s’adresse aux passants ou à sa compagne de galère au visage constellé de croûtes liedevin. Il faudra un peu de temps pour que les usagers s’approprien­t les lieux, explique Céline de Beaulieu. « Le premier jour, ils venaient juste le temps de s’injecter leur produit. Maintenant, ils restent de plus en plus pour se reposer. Et discuter. »

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Kit d’injection proposé à l’« espace Gaïa », près de la gare du Nord, à Paris.

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