L’opinion de Matthieu Croissandeau
Ce ne devait être qu’un « simple » accord commercial, un de plus. C’est devenu un nouveau symbole des fiascos de l’Union européenne. En s’opposant à la ratification du traité de libre-échange européen avec le Canada, le gouvernement wallon a prouvé une nouvelle fois combien le fossé pouvait se creuser entre les instances qui nous gouvernent à l’échelle du continent et les représentations nationales ou régionales. Alors, il y a peut-être, c’est vrai, quelques arrière-pensées politiciennes dans la guérilla que livrent nos voisins d’outre-Quiévrain emmenés par le ministre-président Paul Magnette (voir p. 26). Dans cette bataille se joue sans doute aussi l’expression d’un rapport de forces belgo-belge face à la majorité flamande. Il n’empêche, il faut reconnaître aux Wallons d’avoir pris le temps, depuis deux ans, d’éplucher ce document de 2 344 pages et donc de parler en connaissance de cause. Ce qui n’est pas le cas, loin de là, de leurs collègues français, qui n’ont pas su faire preuve de la même abnégation.
Que reprochent les Wallons au Ceta ? Des broutilles, arguent leurs opposants, qui martèlent que dans ce type d’accords internationaux on peut toujours choisir de considérer le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide. Dans le détail pourtant, les griefs des pourfendeurs du traité interpellent. Car Magnette et les siens ne sont opposés ni à l’Europe ni même à la mondialisation. Ils réclament simplement davantage de garanties pour préserver les services publics, l’environnement ou l’agriculture d’une compétition débridée dont on mesure chaque jour les dégâts sur l’emploi ou l’industrie européenne. Bref, une véritable régulation ! C’est en ce sens que leur démarche répond à un problème de fond. Voilà des lustres en effet que l’Europe s’est offerte à tous les vents de la concurrence au nom de la défense du consommateur et de la compétitivité. Las, cet enthousiasme débridé, dicté par les ultralibéraux de la Commission, s’est traduit par des distorsions aberrantes vis-à-vis des géants de la mondialisation. Rappelons ici que les EtatsUnis ont entrebâillé la porte de leurs marchés publics aux entreprises internationales à moins de 50%, quand l’Europe les a déverrouillés à plus de 90%. Ou que, de l’autre côté du globe, Pékin exige toujours que la moindre affaire se fasse avec un partenaire chinois, ce qui n’est pas le cas sur le Vieux Continent.
L’avenir dira si nos voisins wallons auront raison de ce projet qui les effraie tant ou s’ils finiront par céder à la pression. Après tout, ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de la construction européenne… On refit bien voter les Irlandais après leur non au traité de Lisbonne, comme on finit bien par s’asseoir sur celui des Français au référendum sur le traité constitutionnel de 2005. C’est la deuxième leçon qu’il faut tirer de cet acte de résistance. L’Europe ne peut plus continuer à fonctionner dans cette opacité et ce vide démocratique abyssal. Notons, à ce sujet, que le Ceta ne faisait qu’aggraver les choses puisqu’un alinéa prévoyait de pouvoir appliquer par anticipation certaines mesures du texte avant même sa ratification par les différents Parlements nationaux… Autant de bonnes raisons de remercier les Wallons d’avoir tiré le signal d’alarme !
“L’ENTHOUSIASME DÉBRIDÉ DES ULTRALIBÉRAUX DE LA COMMISSION S’EST TRADUIT PAR DES DISTORSIONS ABERRANTES VIS-À-VIS DES GÉANTS DE LA MONDIALISATION.”