L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- PAR JÉRÔME GARCIN J. G.

O n ne reviendra pas, car tout a déjà été écrit, sur le succès phénoménal – un demi-million de spectateur­s en six mois – de « Merci patron ! », le film cathartiqu­e de François Ruffin, surnommé désormais « le Michael Moore picard », qui à la fois accable et ridiculise Bernard Arnault, le deus ex machina de LVMH, pour mieux sauver de la misère et de l’indignité Jocelyne et Serge Klur. Licencié en 2007 par la direction de l’usine ECCE de Poix-du-Nord qui, avant sa délocalisa­tion en Pologne, confection­nait pour le géant du luxe des costumes Kenzo, ce couple de chômeurs disposait de 82 euros par mois et était menacé de perdre sa maison sans chauffage de Forest-en-Cambrésis (Nord) lorsque Ruffin des Bois décida de lui prêter sa plume. Il adressa à Bernard Arnault une première lettre, signée Jocelyne et Serge Klur, pour demander le règlement de leurs dettes (35 000 euros) et un emploi « soit au sein de LVMH, soit à votre service personnel ». Après que Bernard Squarcini, ex-patron du Renseignem­ent intérieur devenu le M. Sécurité de LVMH, eut, par peur du scandale et de sa médiatisat­ion, dépêché un « commissair­e » pour dédommager les Klur, François Ruffin écrivit de nouvelles lettres, signées cette fois Jérémie, le fils de Jocelyne et Serge. De longues lettres où la vraie insolence le dispute à la fausse obséquiosi­té, la menace à la gratitude, la colère à la courtoisie, et dont, en voyant le film, on peut mesurer la redoutable efficacité. Ces canulars épistolair­es, François Ruffin a eu la bonne idée de les réunir dans le petit volume accompagna­nt le DVD de « Merci patron ! » (Jour2fête/Fakir, 20 euros). Le cinéaste confesse ici avoir longtemps rêvé d’être romancier avant de considérer qu’il était un « maudit de la fiction » : « Il me fallait le réel pour me féconder, j’en revenais au journalism­e malgré moi. » Ces missives, souvent hilarantes, qui commandent l’action du film, François Ruffin aurait pu également les faire paraître aux Editions La Fabrique, au catalogue desquelles figurent notamment Jacques Rancière, Alain Badiou, Frédéric Lordon, et dont il a souvent croisé le directeur-fondateur place de la République, siège de Nuit debout. Eric Hazan, ex-chirurgien cardiaque reconverti dans l’édition indépendan­te et militante, montre, dans « Pour aboutir à un livre » (La Fabrique, 10 euros), comment il est pratiqueme­nt possible et pourquoi il est intellectu­ellement nécessaire de publier des textes « qui contribuen­t à animer les luttes ». Livre debout, film debout, même combat.

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