LE PARI FOU DU TROISIÈME HOMME
Favori de la jeunesse, féru d’alpinisme, le candidat libertarien croit en ses chances, pourtant très minimes, d’accéder à la Maison-Blanche. Rencontre
Il vous accueille avec un sourire et un bronzage de prof de ski, puis il vous lance de but en blanc : « Cette campagne électorale est vraiment dingue, vous savez. Tellement dingue que ce sera moi, et non Trump ou Hillary, le prochain président des Etats-Unis. » Et le plus fou, c’est que ce businessman de 63 ans, sportif émérite, grand fumeur de cannabis et ancien gouverneur du Nouveau-Mexique, a une (toute) petite chance d’y parvenir.
Gary Johnson, qui totalise entre 6 et 10% des intentions de vote, est le candidat du Parti libertarien, un mouvement créé en 1971 par d’anciens républicains, des fondamentalistes de la liberté individuelle et de l’Etat minimal, dont le maître à penser est le philosophe austro-britannique Friedrich Hayek. Aux oreilles d’un Français, leur profession de foi est pour le moins étrange, une sorte d’inventaire à la Prévert, pourtant moins incohérent qu’il n’y paraît. « Je suis pour la légalisation des drogues douces et de la prostitution, pour le mariage gay, le suicide assisté, et le port d’armes pour tous, mais je suis contre la peine de mort, l’impôt sur le revenu et sur les sociétés, nous explique Gary Johnson dans une arrière-salle d’un bar d’Austin, au Texas, juste avant un meeting. Je suis aussi favorable à la retraite à 70, voire à 75 ans, à une réduction drastique des dépenses publiques, à une forte augmentation de la TVA, à la fermeture d’un quart des bases américaines dans le monde et au pardon pour le héros Edward Snowden [cet ancien contractuel de la NSA, aujourd’hui réfugié à Moscou, qui a révélé l’étendue des écoutes réalisées par l’agence d’espionnage, NDLR]. » Un peu plus tard, lors du meeting, ce dernier point sera le plus applaudi. Juste avant la libéralisation du cannabis, son dada. « La guerre contre la drogue est un désastre, explique Gary Johnson. A cause d’elle, nous avons le plus fort taux d’incarcération au monde, et un nombre considérable de crimes. Cela ne peut plus durer. »
Malgré les apparences, Gary Johnson, qui se présente comme « la seule alternative crédible à “Clintrump” », n’est pas du tout un farfelu. Dans les années 1980, il monte une entreprise de construction qui emploiera plus de mille personnes. En 1994, il est élu, à 41 ans, gouverneur du Nouveau-Mexique, en tant que républicain. Il est réélu quatre ans plus tard. « Le pouvoir, c’est plus simple qu’on ne le croit, dit-il. En quelques années, j’ai réussi à équilibrer le budget de l’Etat, notamment en supprimant un millier d’emplois publics. » Autre exploit ultralibéral : il refuse de promulguer des centaines de lois locales, plus que tous les gouverneurs des Etats-Unis réunis. Après deux mandats, il retourne aux a aires et préside une compagnie qui vend toutes sortes de produits à base de cannabis. En 2012, il se présente à l’élection présidentielle et récolte plus d’un million de voix, un record pour le Parti libertarien. « Après, j’ai savouré le temps présent. Car, à la différence des politiciens, je suis un “real guy”, j’ai une autre vie, confie-t-il en relaçant ses Nike, qui ne le quittent jamais. J’adore les sports extrêmes. J’ai grimpé les sommets les plus élevés de tous les continents, y compris l’Everest. En 2003, j’ai été deuxième au championnat du monde de montgolfière. En France, j’ai fait la TransAlp [la plus prestigieuse course de vélo de montagne]. Et j’ai concouru au championnat du monde d’Ironman [le triathlon] à Hawaï. »
Pas étonnant qu’il soit si populaire parmi les jeunes, plus précisément chez les millennials, comme on dit désormais aux Etats-Unis, c'est-à-dire ceux qui ont fini le lycée dans les années 2000, bref, les 18-35 ans. Dans cette classe d’âge, il devance bien sûr Donald Trump mais aussi Hillary Clinton. En fait, il y a remplacé Bernie Sanders, qui avant de quitter la course était le favori des jeunes. « C’est de Bernie que je me sens le plus proche », assure d’ailleurs Gary Johnson, bien qu’à l’évidence son programme économique
aille à l’encontre des idées sociales-démocrates du sénateur du Vermont. Plus étonnant : Gary Johnson est le candidat le plus populaire chez les militaires d’active. Explication : « Je suis contre l’envoi systématique de troupes américaines à l’étranger. Mais je ne suis pas isolationniste. L’Amérique ne doit pas se replier sur elle-même. »
La politique étrangère n’est pas son fort. Il a perdu plusieurs points ces dernières semaines après deux bourdes magistrales sur ce thème. A la question d’un journaliste : « Que feriez-vous pour Alep ? », il a répondu : « C’est quoi, Alep? » « Une erreur impardonnable », reconnaît-il. Interrogé sur son chef d’Etat étranger préféré, il a été incapable de répondre. Deux aubaines pour le camp de Hillary Clinton qui aimerait bien lui rafler une partie de ses millennials. « Gary Johnson ne connaît rien aux a aires du monde », répète depuis le colistier de la candidate démocrate, Tim Kaine.
L’amateur de montgolfière a une chance – infime – de se retrouver dans le bureau Ovale en janvier prochain. Son pari est le suivant : s’il gagne au Nouveau-Mexique, il est possible que, étant donné la carte électorale des Etats-Unis, ni Trump ni Clinton ne parviennent à atteindre dans les 49 autres Etats la barre des 270 grands électeurs nécessaires pour être élu. Selon la Constitution, c’est alors à la Chambre des Représentants de désigner le président. Une telle situation s’est présentée une fois, en 1824. « Les partisans de Trump et de Clinton sont si irréconciliables que la Chambre pourrait me choisir comme président de compromis », dit-il avec un large sourire. Selon le meilleur analyste électoral, Nate Silver, ce scénario a 0,4% de chances de se produire. Un bon score de Johnson pourrait en revanche empêcher l’élection de Hillary Clinton, même si désormais une telle perspective paraît très improbable. Le troisième candidat sait-il que, s’il fait gagner Donald Trump, comme Ralph Nader a permis l’élection de George Bush contre Al Gore en 2000, il sera haï en Europe ? « Cela ne m’empêchera pas de dormir », tranche le sportif.
Que fera-t-il après le 8 novembre, s’il n’est pas président ? « Je partirai skier quatre mois, puis ferai une course de vélo de 6 000 kilomètres qui mène du Canada au sud des Etats-Unis. Quoi qu’il arrive, je ne serai plus jamais candidat. » A l’évidence, Gary Johnson est impatient de retrouver « sa vraie vie ».