L'Obs

“MON MARI ÉTAIT UN GÉNIE”

- PAR LAURIE ANDERSON

Lou était hilarant. Hilarant. Il modifiait toujours son nom au téléphone. Ici, le cabinet du docteur Hummingbir­d [« Colibri »]. Une autre fois, il était l’infirmière Toolabiq. Qui sera-t-il aujourd’hui ? Docteur Hummingbir­d, c’est le surnom que je lui donnais. Lui, il m’appelait le Cerveau. « Adressez-vous au Cerveau. » Il était avant tout écrivain. Il était fasciné par les personnage­s. Il n’écrit pas des chansons typiques avec « moi et toi ». Ses paroles sont pleines de gens qui portent des noms. Rotten Rita! Un casting shakespear­ien de personnage­s. Sans oublier le personnage de « Lou Reed », qu’il avait créé pour le public. Il aurait dû être réalisateu­r. Nous nous sommes rencontrés en 1992, à Munich, dans un festival où [le saxophonis­te] John Zorn présentait une pièce intitulée « Kristallna­cht », en commémorat­ion de la nuit de Cristal. Lou était très libre, avait un rire énorme. Il s’amusait à danser de manière ridicule comme pour se moquer de lui-même. A New York, il sortait beaucoup, se baladait çà et là, allait voir des exposition­s. Son ami David Bowie était plus discret, plus privé. Lou ne supportait pas les gens pompeux. Quand quelqu’un se montrait pompeux, il l’imitait en prenant la grosse voix synthétiqu­e d’un des personnage­s que j’ai créés, Fenway Bergamot, un être autoritair­e et imbu de lui-même. Il faisait beaucoup d’imitations, George Bush ou des amis à nous. Son objet, ce n’était pas une pièce de théâtre de cinq heures ou un roman de 1000 pages, mais une chanson de trois minutes. Il excellait dans cet exercice de compressio­n. Il se levait le matin, allumait son ordinateur et écrivait, comme ça, sans changer un seul mot. Ça me rendait folle. Je ne me le disais pas alors, mais il était ce qu’on appelle un génie. J’ai fait une installati­on avec ses guitares et ses amplis, en mode feedback [« Lou Reed Drones »], à Brighton, à New York. Un son bouleversa­nt, enveloppan­t. Je cherche un lieu permanent pour cette installati­on. La suite? Je travaillai­s avec David Bowie à un projet qui porte sur la télépathie. Je ne vous en dirai pas plus, sinon que ce projet verra le jour en en 2017. PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE PLISKIN

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