L'Obs

Palme d’or de la colère

MOI, DANIEL BLAKE, PAR KEN LOACH, DRAME BRITANNIQU­E, AVEC DAVE JOHNS, HAYLEY SQUIRES (1H37).

- PASCAL MÉRIGEAU

Ken Loach, le retour. Non pas qu’il se soit éloigné, même s’il avait annoncé voilà deux ans que « Jimmy’s Hall » serait son dernier film. Mais ses oeuvres récentes témoignaie­nt d’une forme de lassitude, avec des sujets moins brûlants, moins portés en apparence par la colère et l’urgence. Avec « Moi, Daniel Blake », c’est le vrai Loach qui déboule, bille en tête, et que le jury cannois a choisi de distinguer. Deuxième palme d’or pour le cinéaste (la première, en 2006, était pour « Le vent se lève »), qui prend pour cible la dérive du système britanniqu­e dans ce qu’elle a de plus obscène. Ou comment le principe des aides sociales se trouve désormais mis en cause par l’Etat, qui en a confié la gestion à des sociétés privées. Loach et Paul Laverty, son scénariste depuis plus de vingt ans, s’attachent aux pas d’un menuisier de 59 ans, qu’une attaque cardiaque place dans l’obligation, pour la première fois de sa vie, de s’en remettre aux services d’aide sociale. Il lui faut faire la preuve continuell­ement qu’il cherche un travail, que ses médecins lui interdirai­ent d’accepter, puisqu’à leurs yeux Daniel Blake n’est pas en état de travailler. Absurde? Oui. Et de l’absurde naît le rire, qui vire bientôt à la rage. Daniel Blake a de l’humour, du courage et de la générosité, dont il use pour aider Katie, jeune Londonienn­e mère de deux enfants contrainte de s’installer à Newcastle. Lorsque Daniel accompagne Katie et ses enfants dans une banque alimentair­e, Loach filme longuement la visite, d’un rayonnage à un autre, des légumes aux produits d’hygiène, puis aux boîtes de conserve, et là, soudain, Katie se jette sur une boîte de sauce tomate, l’ouvre et verse une partie du contenu dans sa main, qu’elle lèche désespérém­ent, puis s’effondre, en larmes. Voilà, dans une grande ville de l’Angleterre d’aujourd’hui, une jeune femme peut mourir de faim. Et un homme de 59 ans se voir refuser les aides auxquelles il a droit au motif qu’il n’entend rien à l’informatiq­ue et à internet. Autour d’eux, de l’indifféren­ce, de la sottise, mais aussi beaucoup de solidarité. Qui ne suffira pas. Car Ken Loach a choisi de ne faire aucune concession. Et une fois encore, il a inventé deux interprète­s extraordin­aires, Dave Johns et Hayley Squires. Alors, oui, les habituels détracteur­s du cinéaste, qui comme par hasard ne se situent pas vraiment à l’extrême gauche, vont dire que Loach parle toujours des mêmes gens. C’est vrai, sans doute. Mais qui d’autre que lui les représente à l’écran ?

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Deux interprète­s extraordin­aires : Hayley Squires et Dave Johns.

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