L'Obs

Faccini passe les frontières

I DREAMED AN ISLAND, PAR PIERS FACCINI (BEATING DRUM).

- BERNARD GÉNIÈS

Piers Faccini (photo) est un esprit curieux. Fou de poésie, il fréquente Baudelaire et Celan. Peintre, il étudie « les Menines » de Vélasquez, réalisant des études minutieuse­s empruntées à la foule des détails qui hantent le tableau. Ou bien encore, lors des séances d’enregistre­ment de son nouveau disque, il dessine au crayon le portrait de ses acolytes. Musicien, il prend son temps, piochant dans la grande discothèqu­e des musiques d’ailleurs. Pour copier ? Pour s’imprégner, plutôt. Son sixième album est placé sous le signe de ces rencontres savantes. Né d’un père italien et d’une mère britanniqu­e, Faccini – qui vit aujourd’hui dans les Cévennes – conjugue ses racines, mêlant langues anglaise, française, italienne (plus précisémen­t : le salentino, dialecte des Pouilles) dans les dix titres de ce songe insulaire nimbé de parfums andalous et orientaux. Parfois, les rencontres sont encore plus singulière­s, comme dans « Bring Down the Wall », hymne baroque où les accents bluesy côtoient les accords d’un ribab (luth arabe). Les paroles ne doivent rien à l’innocence, qui, dénonçant le projet de Donald Trump de construire un mur à la frontière américano-mexicaine, proclament : « Abattez le mur, faites-le trembler jusqu’à la dernière pierre. » Dans « Drone », sur une mélodie faussement enjouée, ce sont les ravages causés par ces armes (« J’ai vu ma ville disparaîtr­e sous la fumée », chante le narrateur) qui sont évoqués.

Mais, plus que tout, dans ce nouveau sillon creusé par le chanteur-auteur-compositeu­r, c’est le parfait équilibre des registres musicaux qui attise la curiosité. Guitare électrique, percussion­s, instrument­s d’époque (psaltérion, guitare baroque, théorbe, viole d’amour) se répondent ou se mêlent sans excès ni afféteries. Le juste ton est là. Frère lointain de Nick Drake (les timbres de leurs voix sont proches), Faccini traverse les frontières – celles du temps, comme celle des langues – avec une allégresse lumineuse. La douce voix de cet opposant au Brexit arpente les splendeurs de royaumes à tout jamais disparus. Un nostalgiqu­e ? Un conteur, plutôt. Entre violence et douceur, inquiétude et candeur, ce baladin du grand monde méridional ne nous berce pas d’illusions. Mais, quand même, il nous fait rêver.

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