Caubère, toujours génial
LE BAC 68, DE ET AVEC PHILIPPE CAUBÈRE. JUSQU’AU 19 NOVEMBRE, ATHÉNÉE-THÉÂTRE LOUIS-JOUVET, PARIS-9E, 01-53-05-19-19, LES MERCREDIS, VENDREDIS ET SAMEDIS À 20 HEURES.
Voilà trente-cinq ans que Philippe Caubère (photo) s’est lancé dans sa traversée autobiographique en solitaire. Après les préliminaires de « la Danse du diable » ont suivi les onze épisodes du « Roman d’un acteur ». Puis les épisodes antérieurs (en jargon de cinéma : les préquelles) dont fait partie « le Bac 68 », présenté ici en alternance avec « la Danse du diable ». Donc, Ferdinand Faure, son autre soi-même, remet le couvert. Le voici revenu à l’année du bac. Sa mère, l’inénarrable Claudine, flanquée de l’éternelle Mme Colomer, femme de ménage et confidente-quoique-coco, a beau lui répéter qu’il ferait mieux de réviser plutôt que de se masturber à longueur de temps, l’ado croûteux rêvasse. Le diplôme se révélera facile à décrocher cette année-là, mais l’examinateur ne s’en arrachera pas moins les cheveux devant sa totale méconnaissance de la Sibérie.
Fatigué, Caubère ? Pas le moins du monde. Juste un peu plus ménager de ses forces. On ne joue pas à 66 ans comme à 30, on se dépense moins, on épure. Mais l’essentiel reste intact. La nouvelle mouture du « Bac 68 » ne dure qu’une heure trois quarts au lieu des trois heures accoutumées, mais on en sort comblé. Et on en redemande. Même si l’on a déjà vu les spectacles. Car ils sont faits de matière vive et évoluent sans cesse. Peut-être Caubère a-t-il encore gagné en liberté. Il s’amuse davantage avec la salle. La prend à témoin. Se moque gentiment de ses fans blanchis sous le harnais – comme lui. Demande à ceux qui n’ont jamais raté un morceau de sa fresque monumentale de se signaler en levant le doigt. Se regarde jouer. Va et vient de Ferdinand Faure à Philippe Caubère. Truffe son récit de flashs anachroniques. Le tout avec le style de jeu qui lui est spécifique depuis son « Dom Juan » (1977) et qui donne l’impression d’être en face d’un héros de BD. On le dirait crayonné par Gotlib. D’où tire-t-il cette incroyable mobilité ? Moins de l’exhibitionnisme de l’acteur que de cette faculté qu’il a depuis l’enfance de convoquer Mauriac, de Gaulle ou Sartre pour bavarder avec eux dans sa chambre, aussi facilement qu’Aladin fait jaillir le génie de sa lampe. Ainsi chaque soir ramène-t-il sa mère de la mort à la vie avec une ironie pleine de tendresse. Son art tient de la sorcellerie. Et les jeunes ne résistent pas plus que leurs aînés à son pouvoir d’envoûtement. C’est lui, le génie de la lampe.