Jean-Pierre Dick, le dur de la mer
Ce riche héritier, simple amateur, est devenu professionnel sur le tard. Il est l’un des favoris du 8e Vendée Globe
La dernière fois, en 2012, il a réussi l’exploit de terminer quatrième après avoir perdu sa quille du côté des Açores. Une avarie de plus dans sa collection de fortunes de mer : quatre ans plus tôt, lors de la précédente édition du Vendée Globe, Jean-Pierre Dick avait cogné un growler, l’un de ces gros glaçons dérivant de la banquise antarctique, et en 2004, après avoir brisé sa bôme et perdu ses deux générateurs, il avait dû terminer son tour du monde en solitaire avec pour seule source d’énergie les quelques kilowatts produits par ses panneaux solaires. « On était assez loin de la grande épopée éthérée, c’était plutôt l’homme des cavernes replié dans son antre pour affronter les éléments », se souvient-il, alors qu’une foule compacte de curieux se masse, ce jeudi d’octobre, autour de son bateau sur les pontons des Sables-d’Olonne.
Douze ans ont passé et l’héritier des laboratoires Virbac, septième groupe vétérinaire mondial, est devenu, contre toute attente, l’un des favoris de ce 8e Vendée. Contre toute attente, car « Jipé » Dick s’est lancé dans le haut niveau sur le tard. C’était en 2001, il avait 36 ans et traînait sa grande carcasse et son tempérament lunaire dans les bureaux de Virbac – du département vaccins pour chats à celui de l’élevage porcin –, cherchant coûte que coûte à être à la hauteur de son père, le très charismatique PierreRichard Dick, qui avait décidé d’en faire son héritier. « Docteur Dick » lui avait transmis la barre de ses bateaux, comptant sur la voile pour que son grand rêveur de fils acquière le sens du leadership et de l’entrepreneuriat. Dix ans après la mort de son père, « Jipé » a mis de côté l’entreprise, mais conservé le voilier. Et c’est ainsi qu’un honnête amateur, dénué de toute expérience de la course en solitaire, s’est mis en tête de gagner l’Everest des mers, un héri- tier Dick ne pouvant délaisser son destin pour un simple trip passager.
Jipé le reconnaît : il n’a pas l’instinct et les facilités des petits Mozart de la voile nourris au plancton dans les sports-études bretons. Mais il a des ressources – les finances de Virbac lui ont permis de se payer des bateaux à la pointe de la technologie, en ayant l’intelligence de sortir du milieu nautique franco-français. Et des ressorts personnels : une dureté au mal sans égale – « il est étonnant, il peut débrancher son cerveau, oublier le froid, les blessures », dit de lui Vincent Riou, vainqueur de l’épreuve en 2004 – ainsi qu’une capacité très cartésienne à « saucissonner les problèmes » pour les traiter tour à tour. « Je suis besogneux, mais quand je maîtrise bien le fonctionnement du bateau, je m’épanouis, je suis un diéséliste. » Une fois en mer, le « diéséliste » peut toutefois se prendre pour un turbo, comme un petit garçon sage transfiguré par sa panoplie de super-héros. « C’est à la fois un chef d’entreprise et un enfant de 12-13 ans. Un mélange de grande naïveté et de brutales irruptions de spleen ou d’ardeur, s’amuse l’écrivain Erik Orsenna, qui parraine son bateau. Il lui faut toujours aller plus loin, voir ce qu’il y a au bout du jardin, au bout de la plage, de l’autre côté de l’île, et ce quitte à se mettre dans l’inconfort. »
Devenu père il y a six ans, le navigateur dit cependant avoir « appris à [s]e ménager » : « J’ai compris qu’on pouvait prendre du plaisir, qu’il ne servait à rien de se surpréparer. » Reste que ce « Jipé » nouveau garde sa singularité. Après chaque épopée, le fils d’entrepreneur reprend le dessus sur le marin « besogneux », et la maison Dick se relance dans la construction d’un voilier. Son dernier-né, StMichel-Virbac, sorti tardivement des chantiers, lui a causé de sérieux maux de tête. Mais la concurrence reste sur le qui-vive. « C’est un marin redoutable, dit Sébastien Josse, le skipper de Gitana, un de ses principaux adversaires. Plus que nous tous, il sait se faire mal et appuyer sur l’accélérateur. Jusqu’à présent, ça a toujours coincé. Mais, quelque part au fond de nous, on sait qu’un jour ou l’autre, ça finira bien par passer. »