L'Obs

Rencontre « Je me caméléonne », par Charlotte Le Bon, ex-Miss Météo

- Propos recueillis par FRANÇOIS FORESTIER

Miss Météo flagelle le bourgeois : dans « Iris », le nouveau film de Jalil Lespert, la gentille Charlotte Le Bon, éphémère faiseuse de la pluie et du beau temps sur Canal+, plonge dans les turpitudes d’un univers noir. En dominatric­e SM, bardée de cuir et en talons ultrahauts, elle est aux antipodes de son personnage habituel de bonne fille rigolote aux accents jouals. La Canadienne, ex-mannequin (30 ans, 1,73 mètre, 52 kilos), échappée des podiums, mène désormais une double carrière : actrice et artiste graphique. Piquante, directe, cette Parisienne d’adoption s’amuse de tout, du temps qui passe, de sa carrière, de son image. Et ne redoute qu’une chose : la monotonie. « Je me caméléonne », dit-elle.

Comment passe-t-on de la télé au cinéma?

Comme on passe d’une vie à l’autre. Quand je me suis lancée dans la météo à Canal, c’était l’inconnu. Je faisais chaque jour un petit sketch et, au bout d’un an, j’étais épuisée. Le quotidien, à la télé, c’est un rythme terrible. Mais, en même temps, la télémétéo est une fenêtre formidable : les producteur­s ont commencé très vite à m’appeler pour des castings. Notamment pour le film de Laurent Tirard, « Astérix et Obélix. Au service de Sa Majesté », et j’ai été engagée.

De la météo au rôle d’Ophélia, la compagne de Jolitorax, un coup de potion magique?

Dès le début, c’est ce qu’on m’a dit : la météo, c’est une exposition magique. Je sortais d’un milieu – le mannequina­t – dans lequel j’étais extrêmemen­t malheureus­e. En sept ans de travail, je ne m’étais fait aucune amie, j’étais la personne la plus complexée du monde…

Pourquoi?

Parce que c’est le seul milieu où il est légitime de souligner les défauts physiques des gens. J’étais trop ronde, trop petite, trop ceci ou cela, ou, à 23 ans, trop vieille, j’avais trop de fesses, j’étais trop musclée, il y avait toujours quelque chose. C’est un métier totalement humiliant. Au Japon, par exemple, pour les présentati­ons de lingerie, pendant qu’on se change, il y a trois femmes qui vous surveillen­t, avec des tablettes sur lesquelles des silhouette­s sont dessinées, avec des numéros. Elles encerclent, sur ces silhouette­s, les défauts

des filles : un sein plus haut que l’autre, un bourrelet à gauche, un mollet trop mince… On passe alors devant les clients, qui vous regardent, consultent la tablette, puis discutent entre eux – en japonais. On est une vache au Salon de l’Agricultur­e. Par chance, j’avais une échappatoi­re : des études en arts plastiques, à Montréal. Trois mois en voyage, trois mois au Canada, c’était ma balance, sinon je serais devenue folle. Le seul bon aspect du mannequina­t, c’est l’argent facile. Le rôle de Miss Météo a été une bouffée d’oxygène. Le jour même où j’ai été engagée, j’ai démissionn­é de mon agence de mannequins, pour toujours.

Miss Météo, une libération?

J’ai tout de suite voulu faire dans l’autodérisi­on. Je changeais de personnage chaque jour. A la fin, la météo était très secondaire… Je ne commentais même plus les cartes de France. La pluie, le beau temps, je m’en foutais.

Le cinéma était-il dans votre ligne de mire?

Sans doute. Ma mère et mon beau-père sont acteurs, donc il y a une continuité. Mais j’ai vu ma mère assise près du téléphone, quand celui-ci ne sonnait pas, et c’était terrible. Le cinéma, pour moi, semblait être un monde cruel. J’ai grandi dans un débrief permanent de cours de comédie : mes parents en parlaient tous les soirs.

Miss Météo vous a servie, dans votre métier d’actrice?

C’est très bizarre : on fait partie de la vie des gens. Ils vous abordent dans la rue, avec simplicité, comme si vous étiez de leur famille, ils vous tutoient, ils n’ont aucune retenue. Pas forcément agréable… Que ce soit Pauline Lefèvre, Louise Bourgoin ou Virginie Efira, nous sommes toutes passées par là.

Premier jour de cinéma, ça se passe comment?

Une horreur. J’allais mourir. Comme la rentrée des classes : je veux pas y aller, maman! J’avais dix-sept jours de tournage sur « Astérix et Obélix », avec du dialogue. Je me retrouvais avec Gérard Depardieu, Edouard Baer, Catherine Deneuve, vous imaginez? Le trac monstre. Le film avait beau être drôle, la comédie, c'est quelque chose qu’il faut prendre au sérieux. Ma pre- mière scène? Avec Valérie Lemercier et Danny Boon. Des gens rodés. Moi, bleusaille totale. Ils ont été très chaleureux, Dieu merci.

Votre premier rôle marquant, ensuite?

Dans le film de Jalil Lespert, « Yves Saint Laurent ». Je jouais le rôle de Victoire Doutreleau, la muse. Jalil cherchait un physique très années 1950. Du coup, j’ai quitté les rôles de filles gentilles-et-pétillante­s qu’on me proposait facilement. Jusqu’alors, j’étais la girl next door. Je commençais à m’ennuyer, et Jalil m’a sortie de ce cliché. Je suis passée à autre chose. J’ai tourné dans des films internatio­naux, comme « les Recettes du bonheur » de Lasse Hallström – produit par Spielberg – ou « The Walk » de Robert Zemeckis.

Dans « Iris », vous abordez un personnage très éloigné de Miss Météo, une sorte de dominatric­e dans des soirées spéciales, pas du tout « girl next door »…

C’est un personnage que j’ai dû fouiller. J’ai travaillé avec Betony Vernon, une anthropolo­gue sexuelle américaine – elle ne veut pas qu’on l’appelle « maîtresse » – auteure d’un livre intitulé « la Bible du boudoir ». Il fallait que je comprenne la relation dominant-dominé. J’ai donc assisté à une séance SM, j’ai utilisé des instrument­s, martinet, cravache – mais pas la canne de bambou, qui déchire la peau – sur un soumis, nu et à genoux. Celui-ci n’avait pas le droit de me regarder. Comme ce qu’on voit dans le film. J’ai découvert un monde de sensualité, d’amour et de tendresse, étrangemen­t. Tout est fait dans un souci d’esthétique et de rigueur. J’ai ensuite discuté avec Betony et avec le dominé, et j’ai essayé de comprendre cet univers si éloigné de moi.

Et maintenant?

Maintenant, je prends une petite pause. J’ai tourné cinq films l’année dernière, et j’ai travaillé sur autre chose : une exposition de dessins, de lithograph­ies et de sérigraphi­es à la Galerie Cinéma dans le Marais.

Ambitieuse?

J’assume.

Comment se débarrasse-t-on de l’accent canadien?

Le travail. Je suis une petite bête influençab­le.

BIO Née au Canada en 1986, Charlotte Le Bon est devenue Miss Météo sur Canal+ en 2010. Elue révélation de l’année en 2011 aux Trophées des Femmes en Or, femme de l’année pour « GQ » en 2012, elle a joué dans « Astérix et Obélix. Au service secret de Sa Majesté », puis dans « l’Ecume des jours » et a été nominée aux Césars 2015 pour son rôle dans « Yves Saint Laurent ».

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Romain Duris et Charlotte Le Bon dans un sulfureux thriller.

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