Donald Trump, le millionnaire du peuple
Sera-t-il un idéologue ou un pragmatique? Personne ne sait quel genre de président sera Donald Trump. Mais selon ses proches, ce serait une erreur de croire qu’il n’a pas l’intention de tenir ses promesses les plus radicales
LE CHOC TRUMP
ils viendront en masse, bravant le froid mordant, les heures d’attente et les contrôles de sécurité. Une foule compacte, blanche pour l’essentiel, qui regardera sur les écrans géants cet homme blond à la silhouette imposante, costume bleu nuit et cravate rouge vif, posant une main sur la Bible pour prêter serment. Ce 20 janvier 2017, l’« Amérique silencieuse », chère à Nixon, viendra saluer son héros, son dieu : Donald Trump. Et le monde entier retiendra son sou e : que dira le 45e président des Etats-Unis ? Va-t-il, comme l’espèrent certains, appeler l’Amérique à panser ses plaies, à se rassembler? Lancera-t-il des bouées à cette moitié des Américains qui depuis son élection a l’impression de se noyer ? Et s'il n’avait plus l’intention d’abroger l’Obamacare, la réforme de l’assurance-maladie dont bénéficient 20 millions d’Américains, mais de la modifier ?
Et si l’Amérique entière se remettait finalement au travail grâce à un gigantesque plan d’infrastructures qui plaît à tous (y compris aux républicains du Congrès qui ne voulaient pas en entendre parler sous Obama) ? Et si le venin, le pessimisme noir, la hargne disparaissaient des discours du président Trump ? Et si la planète avait eu tort de paniquer ?
Donner une chance au 45e président des Etats-Unis ? Ce n’est pas Sarah Palin, ex-égérie du Tea Party qui le demande aujourd’hui, mais Nicholas Kristof, éditorialiste du « New York Times », expliquant : « Trump est inexpérimenté et il tient des propos extrêmes, mais il n’est pas idéologique », il « n’a pas de noyau dur. C’est un opportuniste ». Un homme qui a changé cinq fois de parti entre 1999 et 2012 et dont une des phrases favorites est : « Tout est négociable. » Un « pragmatique à la Reagan », confie Roger Stone, un proche.
Les journalistes seraient pourtant malvenus de faire des pronostics sur le véritable programme du président Trump après s’être aussi royalement plantés sur le résultat du 8 novembre, faisant confiance à des sondages défaillants. Comme le titrait le « Washington Post » la semaine dernière, « personne n’a la moindre idée du genre de président que sera Donald Trump ». Plutôt que de lire dans le marc de café, mieux vaut s’en tenir à ce qui est connu du président élu Donald Trump, à savoir sa vie. Il se dit imprévisible, mettant de manière obsessionnelle l’accent sur ses talents de négociateur. « Je l’ai connu toute ma
vie et je ne peux pas le situer », a dit un jour Liz Smith, l’ex-doyenne des potins au « New York Post ». Mais si Trump est protéiforme et souvent inattendu, il n’y a aucun « secret Trump », encore moins une « énigme Trump ». « Il n’y a pas d’homme privé Trump », estime Tony Schwartz, l’homme qui a écrit « The Art of the Deal », l’autobiographie de Trump qui a cimenté sa popularité à 38 ans. S’il était une recette de cuisine, elle aurait le mérite de la simplicité – aucune sauce secrète mais deux ingrédients essentiels : un sens aigu de la compétition et un ego surdimensionné.
Il est né dans une famille de battants, une dynastie obsédée par le succès, capable de toutes les filouteries pour parvenir à ses fins. Friedrich, le grand-père émigré d’Allemagne, fils de vignerons et coiffeur de formation, qui fit sa pelote avec les saloons et la ruée vers l’or ; Fred, le père frugal et discret, qui bâtit une fortune à Brooklyn et dans le Queens new-yorkais en exploitant toutes les entourloupes légales et astuces fiscales possibles et imaginables; et Donald, empereur de l’autopromotion. « Toute l’histoire de la famille Trump a été de se focaliser sans relâche sur la victoire, de faire tout ce qui est possible pour arriver en tête », note Gwenda Blair, auteur d’une histoire de la famille, « The Trumps ».
Cette soif de la « gagne », le jeune Donald en hérite tôt. Il la cultive, elle en fait un personnage à part. Un solitaire. « Il n’était vraiment proche de personne, confiera Ted Levine, son camarade de chambrée en première année à la New York Military Academy. Les gens l’aimaient bien mais il ne se liait avec personne. Je crois que c’est parce qu’il était trop attaché à la compétition et, avec les amis, vous n’êtes pas toujours en concurrence. Il y avait comme un mur défensif autour de lui et il ne laissait personne trop s’approcher. Il ne se méfiait pas des gens, mais il n’avait pas non plus confiance en eux. » Ce Trump-là a peu changé : on ne lui connaît pas de véritable amitié, de compagnons partageant le meilleur et le pire de la vie.
Sa carrière est indissociable de son père. Donald Trump a réussi à vendre l’image d’un self-made-man qui aurait seulement reçu un prêt modeste du paternel. En réalité, celui-ci l’a aidé avant même qu’il n’entame sa carrière dans l’immobilier. Diplômé de Fordham University, Trump est admis à la prestigieuse Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Le responsable des admissions est un copain d’enfance de Fred Trump et le fiston se retrouve dans une petite classe taillée sur mesure pour les rejetons des magnats de l’immobilier. Plus tard, Fred l’aidera financièrement et politiquement à démarrer sa carrière, se portant cosignataire de contrats et prêtant 7,5 millions de dollars à son fils pour ouvrir un casino à Atlantic City. Il tentera même d’aider son fils en dépêchant un avocat chargé d’acheter pour 3,5 millions de dollars de jetons de casino !
Ce père qui l’aide… et lui fait de l’ombre. D’où sa décision de tenter sa chance à Manhattan. La carrière du « Donald » est un parcours de montagnes russes, pavé d’intuitions réelles (l’acquisition du site pour la Trump Tower, l’émission « The Apprentice ») et
d’échecs cinglants (Atlantic City), de créditeurs non payés, d’arnaques fiscales en tout genre et de discriminations raciales dans la ligne de celles qu’avait pratiquées son père. Un mauvais esprit a calculé que Trump serait aussi riche aujourd’hui, voire plus, s’il avait placé l’argent de son père dans l’index S&P 500, qui suit les grandes valeurs de la Bourse. Il s’est déclaré en banqueroute à quatre reprises et, pour le moins, son génie des affaires est discutable… Mais sa carrière présente deux traits qui illuminent à la fois son parcours de candidat et son succès auprès d’une minorité subjuguée. Le premier est son rapport à l’argent. Trump est un crésus de bande dessinée, un « millionnaire du peuple » : il a toujours conservé des manières brutes, non raffinées, qui lui ont épargné la réputation, fatale en politique, d’être un snob à la John Kerry ou un héritier à la Jeb Bush.
L’autre trait de caractère dont il fait preuve, dans ses affaires comme dans sa vie, est un narcissisme sans limites. Il se fie à son « très bon intellect », ne lit pas ou peu, ayant « beaucoup de sens commun », et ne fait pas confiance aux experts, « incapables de distinguer les arbres de la forêt ». Dans un livre de 2004, il écrit : « Les gens sont surpris de la vitesse à laquelle je prends de grandes décisions, mais j’ai appris à suivre mes instincts et ne pas réfléchir à l’excès. Le jour où j’ai réalisé qu’on pouvait être intelligent en étant superficiel a constitué, pour moi, une expérience profonde. »
Premier corollaire : Trump dit généralement ce qu’il pense, une qualité qui se révélera précieuse pendant la campagne présidentielle. « Toujours provocateur, Trump sait attirer l’attention en exprimant des pensées brutes de décoffrage plutôt que des réflexions nuancées, explique Michael D’Antonio, un autre biographe. [Il] a nié les faits que d’autres acceptent et repoussé les limites de la convenance tout au long de sa vie longue et hyperactive. Dans la maison de ses parents, à l’école et dans les mondes de la politique et des affaires, il a continûment affirmé sa supériorité presque sans la moindre once de doute. Rien n’est peutêtre plus vorace, dans la nature, que l’appétit de cet homme pour la richesse, la célébrité et le pouvoir. » Second corollaire : il n’aime pas la contradiction. « Il était redoutable. Tout le monde craignait ses tirades et (…) pour l’influencer, il fallait être une combinaison de Machiavel et Mike Tyson », rapporte un collaborateur à la fin des années 1980, alors que Trump est au faîte de sa carrière de businessman.
« Cette extraordinaire force d’esprit pouvait fonctionner comme une sorte de bouclier, permettant à Donald d’ignorer les attaques ou les distractions et de se concentrer sur son objectif, ajoute Gwenda Blair, sa biographe. Mais elle faisait aussi fonction d’oeillères et de bouchons d’oreilles, laissant à l’écart l’information qu’il devait entendre. Sur les questions mineures, c’était regrettable; sur les plus importantes, cela se révélerait catastrophique. » « Le problème avec Donald est qu’il ne sait pas ce qu’il ignore », résume un républicain anonyme ayant le sens de la formule.
Mais son nombrilisme est aussi ce qui en fait un maestro inégalé de l’autopromotion, devenue le coeur et le moteur de ses affaires. La question de savoir si le narcissisme compulsif de Trump est ou non une maladie mentale ne sera sans doute jamais tranchée ; Peter Freed, psychiatre à Columbia University, estime que « ce n’est pas une maladie » mais
« une stratégie évolutive qui peut être incroyablement couronnée de succès ». Tony Schwartz, le « nègre » de « The Art of the Deal », a rme pour sa part que, s’il pouvait rebaptiser le livre, il l’intitulerait « le Sociopathe »… L’essentiel est ailleurs. S’il y a un « génie » de Trump applicable à son succès du 8 novembre, c’est un génie accidentel – l’adéquation d’une époque nouvelle à un homme qui, lui, n’a pas changé : « Facebook, Twitter, Instagram et même les millions de selfies qui fleurissent sur internet expriment tous le genre d’autopromotion que Trump a pratiquée à son profit pendant toute sa vie. La seule différence est qu’il a été le premier à le faire, et sur une bien plus grande échelle », estime Michael D’Antonio, l’auteur de la biographie « Never Enough ».
Cela soulève des questions fascinantes : Trump président sera-t-il obsédé par sa cote de popularité auprès du plus grand nombre? Ou bien s’attachera-t-il à plaire à ceux qu’il séduit? « Ce que Trump comprend, écrit D’Antonio, c’est que les gens qu’il pourrait o enser en traitant Obama de psychopathe l’ont rejeté depuis longtemps, et ceux qui l’aiment se rapprochent de lui quand il sort ce genre de trucs. Dans une nation de 300 millions d’habitants, un nombre de suiveurs ne dépassant pas 20% est un marché tellement énorme qu’il n’a besoin de personne d’autre. » Vingt pour cent, c’est à quelques points près le pourcentage de la population adulte en âge de voter qui a coché son nom dans l’isoloir, le 8 novembre…
Pour arriver à ses fins, Trump est capable d’épouser un mensonge utile. C’est en reprenant et amplifiant la calomnie raciste des birthers, qui affirment qu’Obama n’est pas né aux Etats-Unis, qu’il est devenu un invité régulier de « Fox News » et s’est positionné pour la présidentielle de 2016. Mais cette capacité à dire tout et son contraire et à se fâcher, si besoin est, avec la vérité occulte une autre réalité : il ne s’éloigne jamais beaucoup de ses positions essentielles. A en croire Roger Stone, un proche qui a propagé les pires horreurs sur Obama et les Clinton, ce serait une erreur d’imaginer qu’il n’a pas l’intention de tenir ses promesses les plus radicales. Et son discours apocalyptique (et franchement raciste aux yeux de beaucoup) sur la condition des Noirs fait écho à sa réaction au viol d’une joggeuse à Central Park en 1989. Trump avait alors acheté une pleine page dans le « New York Times », demandant de « rétablir la peine de mort » contre les jeunes accusés d’avoir commis ce crime. Lesdits adolescents ont finalement été formellement innocentés grâce à l’ADN, après de longues années derrière les barreaux, mais cela n’a pas empêché Trump de répéter en octobre ses accusations : « Ils ont admis qu’ils étaient coupables… »
Trump laissera-t-il sur le quai tous ces bagages pesants, tout ce passé chargé au moment d’emménager à la Maison-Blanche ? On voudrait le croire. On n’a pas le choix. C’est un mauvais film, mais il nous faut espérer que Donald sera le remake de Ronald (Reagan).