On en parle Le film, nouvel accessoire de Prada
La marque italienne a confié à David O. Russell, le cinéaste de “Happiness Therapy”, la réalisation d’un étonnant courtmétrage en hommage au cinéma des années 1960
Depuis que Wim Wenders a déclaré dans « l’Obs », il y a tout juste un an, « au risque de vous surprendre, j’ai réalisé plus de 100 publicités. Et je trouve ce monde plus créatif que tout », nous regardons avec un oeil plus attentif ces films mettant en scène les marques et leurs égéries. Celui réalisé par Spike Jonze cet été pour le parfum Kenzo World a totalisé 4 millions de vues sur YouTube en l’espace de deux mois. Que des millions d’internautes regardent volontairement, à l’heure du zapping et d’Adblock, une réclame de quatre minutes pose question.
L’examen du dernier-né dans cette famille d’objets aux contours flous que Prada vient de produire peut apporter un début de réponse. Mardi, ce court-métrage réalisé par David O. Russell, le réalisateur de « Joy », « Happiness Therapy » et « American Bluff », a été présenté en avant-première mondiale non pas dans une boutique de la marque, ni dans un cinéma, mais à la Hauser Wirth & Schimmel Gallery de Los Angeles. Dans les autres salles, le visiteur découvrait une rétrospective de la peintre Maria Lassnig, les oeuvres de Joan Miró et, dans quelques jours, on y écoutera l’historienne Judith Stein deviser sur l’art moderne.
Art aux frontières duquel le groupe de luxe italien a pris l’habitude de se positionner. Ainsi, sa nouvelle fondation créée à Milan avec l’architecte Rem Koolhaas figure aujourd’hui parmi les meilleurs musées d’art contemporain. A peine y distingue-t-on sa présence sur la façade et à l’intérieur. Il en est de même pour « Past Forward », film d’une durée d’un quart d’heure, impossible à diffuser à la télévision et dont il existe plusieurs versions avec des castings différents et des fins alternatives, toutes pensées pour internet.
Celle que nous avons vue montre trois jeunes femmes fuir une menace dans un aéroport avant d’y trouver l’amour, le tout sous la forme d’un hommage en noir et blanc au cinéma des années 1960. Les cinéphiles y reconnaîtront des scènes de « la Jetée » de Chris Marker, les bandes-son de Bernard Herrmann pour « la Mort aux trousses » d’Alfred Hitchcock et « Fahrenheit 451 » de François Truffaut, ou encore le fantôme de Monica Vitti. Loin des castings tapageurs avec mannequins et superstars, Russell a choisi Allison Williams (photo ci-contre), une comédienne de la série « Girls », l’actrice indienne Freida Pinto et Kuoth Wiel, interprète venue du Soudan. Seul Sacha Baron Cohen fait une apparition en forme de clin d’oeil. Sont présentes aussi quelques-unes des obsessions actuelles de la mode telles que les images surexposées, les dystopies et les structures en béton.
A mi-chemin entre « Alphaville » de Godard et les séries de mode de William Klein pour « Vogue », « Past Forward » laisse une impression étrange. « Miuccia Prada, explique le réalisateur trois fois nommé aux Oscars, m’a demandé de créer un objet de cinéma, une sorte de rêve alimenté par le mystère. C’était l’occasion de voyager guidé par des couches de souvenirs cinématographiques, des images de la vie et des émotions, sans but si ce n’est celui de faire de l’art. Libéré des contraintes narratives et d’audience. » On aurait tort d’y voir un simple collage confié au cinéaste, cet objet – la marque utilise le terme de « plateforme » – semble moins destiné à plaire qu’à décoder. Il ne s’agit plus de faire envie ou d’acheter, mais d’adresser des signes aux initiés parlant un nouveau langage, celui des cinéastes, photographes de mode et directeurs artistiques qui peuplent les salons VIP des aéroports justement, celui d’une élégance puisant dans tous les arts majeurs. Ce n’est plus le diable qui s’habille en Prada mais l’artiste du xxie siècle tel qu’il se regarde dans un miroir.