Le « monde nouveau » de Marine Le Pen
La victoire de Donald Trump fait rêver les militants du Front national. Et si leur présidente créait, elle aussi, la surprise en 2017?Avant même l’élection américaine, elle avait entamé une transformation minutieusement étudiée. Récit
la candidate Marine Le Pen échangeant une poignée de main avec le président Trump à la veille de l’échéance de 2017? L’image fait rêver certains émissaires du FN. « Nous allons oeuvrer diplomatiquement pour essayer d’y parvenir », confie un eurodéputé. La tradition qui impose à un chef d’Etat – a fortiori de la première puissance mondiale– de ne pas s’immiscer dans la politique intérieure d’un autre Etat ne refroidit pas les ardeurs. « Ce n’est pas impossible, estime cet interlocuteur. Trump fait ce qu’il veut. Il transgresse les usages et les coutumes. » C’est peu dire que l’arrivée de l’extravagant milliardaire à la Maison-Blanche donne des ailes au Front national. Si tous les populistes du monde pouvaient se donner la main…
« C’est un monde nouveau qui émerge », a souligné une Marine Le Pen tout en retenue et en sourires, sur France 2, dans la foulée des résultats américains. Elle espère profiter de l’effet de souffle. La contrerévolution identitaire à l’oeuvre aux EtatsUnis vient, de manière inespérée, valider son discours. Et instiller dans les esprits l’idée qu’à cinq mois de l’élection présidentielle française, tout est possible. « Ce que le peuple veut, le peuple le peut », scande-telle. Dévoilant, cette semaine, la composition de son comité stratégique et inaugurant son QG, baptisé « l’Escale » et installé à une encablure de l’Elysée, la candidate FN ne pouvait imaginer plus beau lever de rideau sur sa campagne. Les regards se fixent sur elle. De discussions de comptoir en conversations familiales, la même question tourne sans fin. Et si, déjouant tous les pronostics, Marine LePen, à l’instar de Donald Trump, créait la surprise ?
Quand elle fait sa rentrée, le 3 septembre, dans le décor rural de Brachay, ce petit village de Haute-Marne acquis au FN, quelque chose a déjà changé. Le service d’ordre du Front arbore d’élégantes casquettes bleu marine, discrètement siglées 2017, les plus gradés ayant sur leur visière
deux branches de laurier, à la manière de la préfectorale. Dans un ensemble tunique-pantalon structuré, amincie de 11 kilos, Marine Le Pen discourt d’une voix qui se veut paisible. Le fond idéologique et l’obsession anti-immigrés sont intacts, mais les mots semblent comme passés au rabot. Les sympathisants, tout à leur dévotion, y trouvent quand même leur compte. Même ce quidam apostrophant la correspondante britannique du « Guardian », qui prend des notes en sténo : « Vous écrivez en arabe ? », s’inquiète-t-il.
Soucieuse de se présidentialiser, Marine Le Pen a endossé les habits neufs de la candidate. Rassurer est son nouveau mantra. « Au nom du peuple », son nouveau slogan, dévoilé mi-septembre lors des « Estivales » à Fréjus. Elle dit en substance aux électeurs : « Je ne parle pas en mon nom, mais c’est en votre nom que je prends la parole. » « Faire du populisme le substrat même du parti vise à casser l’enfermement électoral de l’extrême droite », relève l’historien Nicolas Lebourg, qui vient de publier « Lettre aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout » (1). Quant au slogan, ajoute-t-il, « ilreprésente parfaitement la logique d’une République référendaire dans laquelle Marine Le Pen souhaite s’inscrire. Dans ce modèle, le chef de l’Etat est en lien direct avec le peuple, au-dessus des corps intermédiaires ».
Marine LePen veut prendre le pouvoir. Ce n’est plus un noir désir, c’est une envie revendiquée. Travail programmatique, stratégie de présidentialisation et remise en forme personnelle se sont préparés à l’abri des regards, avec les plus proches, à la faveur du faux plat qui mène jusqu’à la fin de l’été. Le discours qu’elle prononce à Fréjus pose les fondements de son pro-
gramme pour 2017 – la souveraineté de la France, son identité, le patriotisme économique, la critique des élites, la dénonciation de la « religion immigrationniste » –, mais elle joue de l’implicite pour ratisser des voix au-delà du socle frontiste.
L’hypothèse de sa victoire, posée voilà seulement un an, aurait semblé farfelue. Si le tripartisme s’est installé dans le paysage politique français, l’enfermement électoral du FN reste une réalité. A ce titre, les régionales de décembre 2015 ont été un choc pour Marine LePen. Alors que le FN réalise une percée impressionnante (recueillant au niveau national 28,4% des suffrages exprimés au premier tour, soit 10 points de plus que le score de sa présidente en 2012), alors que son emprise s’étend désormais au monde rural, le mouvement échoue à remporter une seule région. Candidate dans les Hauts-de-France, la présidente du Front national s’est heurtée de plein fouet au Front républicain et a dû s’incliner devant Xavier Bertrand. Le danger FN, agité à gauche comme à droite, reste un puissant répulsif. Le constat a valeur d’avertissement pour 2017. Essorée par la campagne, Marine Le Pen choisit alors de se mettre à la diète médiatique pendant de longs mois et, dans le même mouvement, supprime pain, vin et sucre.
En dépit de l’entreprise de dédiabolisation, le FN peine encore à s’imposer comme un parti de gouvernement. Le « national-patriotisme », mis en avant, doit faire oublier l’extraction d’extrême droite. « La base croit en la possibilité d’une victoire, l’idée du plafond de verre existe davantage dans les têtes des dirigeants du FN », confirme un cadre du parti.
Mais à l’automne, le vent d’ouest est porteur d’espoir. De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump hystérise la campagne. Interrogée par CNN sur le candidat qui a ses faveurs, Marine LePen répond: « Pour l’intérêt de la France, tout sauf Hillary Clinton. » Elle se reconnaît des points communs avec Donald Trump, qu’elle égrène – « nous ne sommes pas du sérail, nous ne participons pas au système, nous ne dépendons de personne, nous n’allons pas prendre nos ordres auprès de telle puissance étrangère » –, mais sans s’engager plus avant en sa faveur. Elle se méfie des excès du personnage, ses dérapages graveleux sur les femmes lui déplaisent. Il déclenche des tempêtes alors qu’elle cherche à prendre de la hauteur.
Le républicain élu à la Maison-Blanche, les frontistes se félicitent « du succès de sa ligne politique ». N’ont-ils pas en commun la vision d’un monde multipolaire, le rejet de la mondialisation ultralibérale ou encore ces murs et ces frontières qu’ils veulent ériger pour stopper l’immigration ? Si l’Amérique bascule, les électeurs français ne pourraient-ils pas se décider à briser le plafond de verre qui contient la poussée du FN? Bref, ils rêvent d’une victoire à la Trump. En parler, c’est déjà installer l’idée.
« Les analogies sont à manipuler avec prudence, il existe aussi beaucoup de différences, estime Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Pour commencer, Donald Trump est devenu, à l’issue d’une primaire, le candidat d’un parti de gouvernement, un parti installé. » Le Front national n’est pas le Republican Party. C’est un parti de militants, sa machine est fragile, malgré l’émergence de nouveaux cadres. En prévision des législatives, les fédérations ont reçu la visite du secrétaire national à l’implantation du FN, Jean-Lin Lacapelle, surnommé « le nettoyeur », pour écarter les cadres sulfureux et activer la professionnalisation du maillage.
Plus encore, les règles du jeu présidentiel ne sont pas les mêmes en France et aux Etats-Unis, mode de scrutin majoritaire à deux tours d’un côté, indirect et à un tour de l’autre. Ce qui change l’alchimie des urnes. C’est une préoccupation, reconnaît un partisan de Marine Le Pen, sous couvert d’anonymat : « Admettons qu’elle fasse 30% au premier tour. Où va-t-elle trouver les 20% nécessaires pour le second ? De plus, elle n’a pas la culture de la négociation. » L’intéressée balaie en effet l’objection. C’est « un choix de civilisation » qui se pose en 2017, explique-t-elle dans un entretien fleuve accordé en septembre à la revue « Foreign Affairs ». « Par conséquent, je pense qu’il y a des gens qui peuvent venir de tout horizon politique, de droite et de gauche, qui sont d’accord avec moi et qui peuvent nous rejoindre. »
Que Donald Trump vacille sur son engagement de construire un mur tout le long de la frontière mexicaine, que Theresa May promette encore aux Britanniques des « moments difficiles », comme elle vient de le faire en annonçant son intention d’user de l’article 50 du traité européen en mars 2017 pour entamer les deux années de négociations du Brexit, alors les meilleurs amis de Marine Le Pen pourraient devenir ses pires ennemis. Les compliments peuvent même être des cadeaux empoisonnés. Comme celui adressé par Stephen Bannon, le bras droit de Donald Trump, ex-patron du site ultra-droitier Breitbart News, qui exprimait en juillet dernier sur Radio Londres (un site créé par des journalistes français) son enthousiasme pour les jeunes entrepreneurs hexagonaux et « pour les femmes de la famille Le Pen ». Selon lui, « Marion Maréchal-Le Pen est la nouvelle étoile montante ». Une phrase qui a ressurgi sur les réseaux sociaux sitôt Trump élu, et qui n’a pas dû plaire à Marine Le Pen. Opportuniste, sa nièce a aussitôt tweeté : « Je réponds oui à l’invitation de Stephen Bannon, directeur de la campagne Trump, à travailler ensemble. » Ambiance chez les Le Pen…