L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- par MATTHIEU CROISSANDE­AU

Dans l’onde de choc de l’élection de Donald Trump émerge désormais une certitude : la gauche de gouverneme­nt, telle qu’on l’a connue, est condamnée à se faire chasser du pouvoir pour longtemps. Les chantiers qui l’attendent sont tellement titanesque­s qu’elle ne peut plus espérer l’emporter que par un concours de circonstan­ces ou par accident. Et encore… Dans un système politique bipartisan, elle pouvait toujours compter sur le mouvement mécanique de l’alternance. Mais, avec l’implantati­on durable du Front national dans le paysage politique, il ne lui est plus garanti d’en être la seule bénéficiai­re.

Le cycle d’Epinay s’est consumé petit à petit. Il n’en reste aujourd’hui que des cendres. Ce qui demeure du socle électoral socialiste – les fonctionna­ires et les classes moyennes des centres urbains – ne lui permet plus de faire la différence. Après s’être coupé des classes populaires, le PS s’est coupé de la jeunesse. Il ne dispose plus d’alliés, de forces d’appoint, ni même de réserve de voix. L’écologie politique est morte, le Parti communiste agonise. Rien à espérer non plus du côté de la gauche radicale… Trop occupée à faire feu sur les ours savants de la social-démocratie plutôt qu’à combattre les apprentis sorciers de la droite dure, celle-ci ne veut pas entendre parler du moindre rapprochem­ent pour l’instant.

Si la gauche de gouverneme­nt est minoritair­e dans les isoloirs, c’est d’abord qu’elle l’est dans les cerveaux. Ses rêves d’hégémonie culturelle ne sont plus que de lointains souvenirs. Son discours de gestionnai­re raisonnabl­e ne fait pas le poids face à la rhé torique outrancièr­e et démagogiqu­e des populistes. Son maigre bilan a déçu jusqu’à ses partisans. Faute d’avoir su transforme­r la société et en corriger les déséquilib­res, elle peine aujourd’hui à convaincre qu’elle peut proposer autre chose que ce que ferait la droite, en « moins pire ».

C’est dire l’ampleur du travail qu’il lui faut désormais accomplir ! Si elle veut se relever dans les urnes, la gauche doit d’abord relever la tête et assumer ses valeurs. Justice sociale, égalité réelle, droits de l’homme ne sont pas des gros mots. Quand la droite parle au portefeuil­le et que l’extrême droite parle aux tripes des électeurs, la gauche doit s’adresser aux coeurs. Au retour en arrière que promettent les uns, au repli sur soi que font miroiter les autres, elle doit opposer un discours de progrès. Et surtout un projet véritablem­ent réformiste qui réponde au sentiment de déclasseme­nt et à la demande de protection face aux désordres du monde. Il lui faudra enfin sortir de sa logique d’appareil pour renouer avec les forces qui la composent, que ce soit à travers ses relais traditionn­els syndicaux ou associatif­s, mais aussi et surtout en écoutant les initiative­s citoyennes qui fleurissen­t çà et là sur le territoire. Tout cela demande de l’humilité et de la persévéran­ce. Tout cela prend du temps et ne se décrète pas. Mais, au moment où la reconstruc­tion promet d’être longue, il n’est jamais trop tôt pour entamer les grands travaux !

SI LA GAUCHE DE GOUVERNEME­NT EST MINORITAIR­E DANS LES ISOLOIRS, C’EST D’ABORD QU’ELLE L’EST DANS LES CERVEAUX.

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