L'Obs

Le ras-le-bol français. Reportage

A Pontault-Combault, à 23 kilomètres de Paris, le vote Le Pen progresse. En cause : la baisse du pouvoir d’achat et le sentiment des habitants que les étrangers profitent, à leur détriment, de la générosité de l’Etat. Reportage

- Par AUDREY SALOR

mercredi 9 novembre. Le téléphone de la mairie de Pontault-Combault sonne en permanence. En ce jour d’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, beaucoup d’habitants de cette ville de 38000 âmes veulent soudain s’inscrire sur les listes électorale­s. Dans son bureau moderne du premier étage de l’hôtel de ville, la maire PS, Monique Delessard, cheveux blond platine et mise soignée, s’interroge sur le sens de cette ruée vers les urnes. Prise de conscience citoyenne face au péril de l’extrême droite en 2017? Ou, au contraire, réveil d’une frange dure exaltée par l’exemple américain, sursaut d’électeurs séduits par les diatribes anti-immigratio­n et anti-élite de Marine Le Pen, persuadés de tenir enfin leur revanche sur le « système »?

Optimiste, Monique Delessard veut croire à la première option. Même si, à Pontault-Combault, le FN est arrivé en tête au premier tour des régionales (27,53%). Même s’il ne cesse, depuis 2012, de grignoter des points, scrutin après scrutin. « Il progresse en pourcentag­e car l’abstention augmente. Mais pas en voix », précise-t-elle, comme si elle voulait se rassurer. L’histoire sera-t-elle la même en 2017? Pas sûr. Nombre d’électeurs de la quatrième commune de Seine-et-Marne qui n’ont jamais voté FN semblent cette fois décidés à basculer. Certains parce qu’ils se sentent « ponctionné­s à merci » et déclassés. D’autres pour manifester leur « ras-le-bol » identi- taireface à une immigratio­n qu’ils jugent trop massive. Ou les deux à la fois.

Survêtemen­t noir, casquette à l’envers et barbe de trois jours, Fabien Quesda, 27 ans, habite les Hantes, quartier pavillonna­ire du sud de la ville, petit dédale de rues tranquille­s aux noms de fleurs et d’oiseaux. Il n’a « pas trop suivi » l’élection de Trump, mais son oeil s’illumine lorsqu’on prononce le nom de Marine Le Pen : « Je l’aime bien ! » Fabien, qui ne s’est jamais inscrit sur les listes électorale­s, se dit quasi certain de voter pour elle. Employé en CDI dans le BTP pour 1675 euros par mois, il estime qu’« en France, trop de gens profitent du chômage ». Et puis « on aide trop les étrangers qui ne s’adaptent pas. Ils veulent imposer leur religion », poursuit-il, en pointant les « trop

nombreux restaurant­s halal » du coin. En 2007, le discours de Nicolas Sarkozy l’avait séduit. « Mais aujourd’hui, dit-il, je ne crois plus en lui. » Il n’est pas le seul…

Ici, beaucoup ne croient plus aux propositio­ns toujours plus à droite et aux formules chocs de l’ancien président, qui ne ménage pourtant pas ses efforts pour retenir ces électeurs tentés de franchir le Rubicon. C’est le cas de Frédéric, 39 ans, qui préfère rester anonyme. En jean, baskets et pull gris, son sac à provisions au bras, il regagne d’un pas pressé son domicile, situé dans un autre quartier pavillonna­ire de Pontault-Combault, non loin de la gare RER. Couvreur de métier, il a toujours penché pour LesRépubli­cains. Et en 2017? ll hésite. Et finit par confier : « Ma femme est algérienne, donc ça me fait un peu peur, mais… cette fois, ce sera le FN. J’en ai marre. Les autres ne sont plus crédibles. » Frédéric exècre les socialiste­set n’a pas digéré le temps perdu sur la loi Taubira. Il s’en étoufferai­t presque : « Le mariage pour tous, on n’en a rien à fiche! Pendant que les gens se tapaient dessus pour savoir s’ils étaient pour ou contre, le gouverneme­nt a supprimé la défiscalis­ation des heures supplément­aires! » Frédéric semble avoir oublié que cette dernière mesure a été adoptée dès le début du quinquenna­t de François Hollande… Propriétai­re de son logement et doté d’un salaire de 2500 euros, il ne s’estime pourtant pas si mal loti. Mais l’explosion du chômage le préoccupe quand même, et il a sa petite idée pour l’expliquer : « On fait venir des gens en France alors qu’on a déjà du mal à donner un travail et une bonne paie à ceux qui sont ici. »

Ils en sont certains : les « étrangers » sont accueillis à bras ouverts, au détriment des autres, des « oubliés ». « On leur donne tout et on ne nous donne rien » : dans la bouche de ceux que nous avons rencontrés, cette phrase revient comme un éternel refrain. Au quartier de l’Ocil, plus de pavillons, mais des immeubles HLM de cinq étages, séparés par de larges allées. C’est là que vit Bernard Lugez, 44ans, manutentio­nnaire de nuit à Ferrières-en-Brie, pour 1800 euros par mois. Il n’a jamais voté de sa vie. Mais, cette fois, il fera le déplacemen­t. « Pour Marine. » Il enrage : « Entre le loyer et les factures, il me reste 400 euros pour manger. Et moi, je n’ai pas droit aux aides. En France, on laisse crever les SDF, mais on donne 1 000 euros aux réfugiés quand ils arrivent. J’ai vu ça sur Facebook. » On pourrait penser que ce discours se limite à un électorat acquis au FN, ou en passe de l’être. Il essaime pourtant au-delà. Dans la zone commerçant­e, quelques mètres plus loin, devant le Carrefour Market, l’ancienne sympathisa­nte socialiste Suzanne Bartel, menue blonde de 67 ans, confie ne plus voter depuis dix ans. Car avec sa retraite de couturière, 920 euros par mois, « il faut tout compter ». Alors qu’« il y a des gens qui n’ont jamais travaillé et qui ont davantage. Comme les migrants ».

Les migrants… Nous y voilà. A entendre Suzanne, Bernard et d’autres, ils seraient la source de tous nos maux. Le symbole d’un Etat autiste, prompt à venir en aide à toute la misère du monde, mais sourd à la détresse de ses propres enfants. Il y a peu, la mairie socialiste de Pontault-Combault s’est portée volontaire pour en accueillir une centaine. Elle les a logés dans un hôtel social un peu défraîchi, au bord de la nationale 4. Sur le parvis bétonné qui fait aussi office de parking, une corde à linge a été tendue entre deux piliers. Un petit groupe converse dans un coin. Parmi les 120 jeunes hommes hébergés dans des conditions sommaires, une majorité de Soudanais, mais aussi quelques Afghans. Tous ont connu la guerre, la cupidité des passeurs. En tant que demandeurs d’asile, ils ont droit à une allocation d’environ 200 euros par mois.

Que répondre aux habitants qui s’estiment lésés? Guy Speissegge­r, à la tête de l’associatio­n d’accueil, d’hébergemen­t et d’insertion Empreintes, qui gère le lieu, se veut rationnel : « Nous comprenons ce discours. Mais ce qui est fait pour les migrants n’enlève rien au reste de la population. » Tous ceux que nous avons croisés ne voteront pas forcément pour le Front national à la présidenti­elle. Parmi eux, beaucoup s’abstiendro­nt ou voteront blanc. Mais tous expriment un profond rejet des politiques et du « système », sur lequel Trump a si bien su surfer. La rancoeur est sans limite envers ces « nantis », ces « technocrat­es qui n’ont jamais travaillé », « blablatent et ne font rien ». Et puis, il y a ceux qui ne sont pas séduits par le FN, mais qui prennent la défense de ses électeurs, en réaction au « mépris » des médias à leur égard.

Accoudé au bar du restaurant L’Etoile avec un ami, Pierre Forestier, retraité de 75 ans et sympathisa­nt LR, en fait partie : « En banlieue, il y a un sentiment d’insécurité. Je connais des gens qui votent FN. Ils sont très gentils. » Gentils, on ne sait pas. Exaspérés, sûrement. Elu municipal frontiste à Pontault-Combault, Jean-Pierre Martin l’a bien compris : « Les gens en ont marre. Marine Le Pen n’a jamais été élue. C’est ce qui fait sa force. »

“ON FAIT VENIR DES GENS EN FRANCE ALORS QU’ON A DÉJÀ DU MAL À DONNER UN TRAVAIL ET UNE BONNE PAIE À CEUX QUI SONT ICI.” FRÉDÉRIC, 39 ANS, COUVREUR

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Bernard Lugez, 44 ans, manutentio­nnaire et abstention­niste depuis toujours, est aujourd’hui tenté par « Marine ».
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« En banlieue, il y a un sentiment d’insécurité. Je connais des gens qui votent FN. Ils sont très gentils », dit Pierre Forestier, retraité de 75 ans et sympathisa­nt LR (à gauche), accompagné ici d’un ami.

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