Avis de gros temps en Asie
L’arrivée de Trump pourrait servir les appétits chinois et provoquer une surenchère militaire dans la région
les velléités isolationnistes du prochain locataire de la Maison-Blanche pourraient être pour Pékin l’occasion historique de réaliser son rêve de domination sur l’est asiatique. La presse officielle cache mal sa jubilation. « Le Quotidien du peuple » claironne : « L’élection de Trump montre clairement la défaillance du système politique américain. » Quelle meilleure preuve de la supériorité du système de parti unique que la campagne électorale qui vient de s’achever ? L’outrance même des accusations de Donald Trump contre la Chine – accusée de « violer » l’économie américaine, de lui voler ses industries et de siphonner ses emplois – l’a fait ressembler encore plus au « clown » démagogue dépeint par la presse d’Etat.
Pékin a d’autres raisons de se réjouir. Trump a soutenu que la répression du mouvement de Tiananmen en 1989 était « parfaitement légitime ». Mais c’est surtout sur le plan géopolitique que Pékin espère le plus de bénéfice. Si Trump réduit l’engagement militaire dans la région, comme il l’a promis, c’est un boulevard qui s’ouvre devant les projets hégémoniques chinois. Déjà le Laos et le Cambodge, amadoués par une pluie d’investissements, se sont rangés derrière sa bannière. D’autres sont tentés : les militaires de Thaïlande, dépités par les critiques américaines contre le coup d’Etat, la Malaisie et son dirigeant poursuivi pour corruption aux Etats-Unis, les Philippines, dont le nouveau président, Duterte, n’a pas été avare de courbettes devant Xi Jinping tout en traitant Obama de « fils de pute ». Des pays plus rebelles pourraient suivre leur exemple : le Vietnam, la Birmanie, Singapour, voire l’Australie, tous susceptibles de se laisser persuader par une politique adroite de la carotte et du bâton.
Si le « parapluie américain » se referme, c’est l’équilibre géopolitique de la région tout entière qui bascule. « Il n’est pas exclu alors que la Chine décide d’envahir Taïwan, réglant une fois pour toutes le sort de cette île qui lui tient tête depuis soixante-seize ans », estime un observateur pékinois. Nul doute que Taïwan, qui a récemment élu une présidente indépendantiste, songe à renforcer ses défenses militaires.
Le retrait américain pourrait donc déclencher une surenchère militaire dans la région. D’autant plus que les autres alliés de Washington, le Japon et la Corée du Sud, confrontés à la menace de plus en plus inquiétante d’une attaque venue de Pyongyang, pourraient se doter de l’arme nucléaire. Avec la bénédiction de Trump, qui les y a explicitement encouragés. Une perspective redoutable pour Pékin, qui a longtemps été la seule puissance nucléaire de la région. Autre cauchemar possible : la création d’une alliance antichinoise élargie menée par le Japon, englobant la Corée du Sud, Taïwan et même l’Inde.
Reste Trump et son imprévisibilité. Après avoir longtemps fait planer le doute sur l’« utilité » de l’alliance avec le Japon et la Corée du Sud, il vient de réaffirmer l’engagement américain à leurs côtés. On apprend qu’il s’est entouré de conseillers et de spécialistes « durs », des faucons qui critiquent la « mollesse » d’Obama vis-à-vis de la Chine. Cette dernière n’est pas un partenaire, affirment-ils, mais un adversaire que les Etats-Unis doivent contenir sur le plan commercial comme sur le plan militaire, notamment en renforçant sa marine. Face à la seconde puissance mondiale, l’Amérique de Trump sera soit isolationniste soit interventionniste. Dans les deux cas, avis de gros temps sur le Pacifique.