L'Obs

“Pour Poutine, une divine surprise ”

Dmitri Trenin dirige le Centre Carnegie à Moscou. Il analyse pour “l’Obs” l’impact de l’élection de Trump sur les relations entre les Etats-Unis et la Russie

- Propos recueillis par NATACHA TATU

Donald Trump est très populaire en Russie. Vladimir Poutine a-t-il, comme on le dit, favorisé son élection ?

Je ne le pense pas. Bien sûr, il y a eu des contacts entre le Kremlin et l’équipe du candidat, mais ça n’a rien d’exceptionn­el, au contraire. Ça aurait même été non profession­nel de la part des conseiller­s de Poutine de ne pas chercher à établir des relations avec le camp de Trump, comme ils l’ont fait avec celui de Hillary Clinton. Elle prétend qu’elle a refusé ces contacts, mais nous ne sommes pas obligés de la croire… Sur le fond, le pire n’est pas certain, au contraire. Je pense que cette victoire ouvre des opportunit­és pour un redémarrag­e des relations entre la Russie et les Etats-Unis, qui se sont sérieuseme­nt dégradées, particuliè­rement ces derniers mois. C’est peut-être même une chance d’éviter la collision qui était en marche. Il y a bien sûr encore beaucoup d’incertitud­es sur la politique que va mener Donald Trump, mais, du moins, le champ des relations internatio­nales entre les deux puissances s’est à nouveau ouvert.

Sexistes, homophobes… Les deux hommes ont beaucoup en commun.

L’un comme l’autre sont surtout, chacun à leur manière, profondéme­nt nationalis­tes. Trump ne pense pas les relations internatio­nales en termes de grands équilibres. Pour lui, l’essentiel, c’est la santé économique des Etats-Unis : « America first. » Poutine, lui, articule sa stratégie autour de la place de la Russie dans le monde. Quant à leurs personnali­tés, elles sont très différente­s. Donald Trump est extraverti, provocateu­r et imprévisib­le. Vladimir Poutine est introverti, calculateu­r, prudent. Pour l’instant, ils se connaissen­t peu. Seule certitude : l’élection de Trump donne le signal de deux profonds bouleverse­ments. Elle pose les limites d’une vision « libérale », au sens américain du terme, et les limites d’un monde dominé par la suprématie des EtatsUnis. Pour Poutine, c’est un signal très positif. Il n’espérait sans doute pas la victoire de Trump. C’est une divine surprise.

Le climat de guerre froide qui était en train de s’installer pourrait donc se réchauffer ?

C’est trop tôt pour le dire. Tout va dépendre de la manière dont Trump va former son équipe, de la manière dont il va composer ou non avec l’establishm­ent de Washington qui le déteste. Il va falloir qu’il fasse des concession­s. Il peut choisir de leur laisser gérer les relations avec la Russie, qui ne sont pas sa priorité, pour se consacrer, lui, à la Chine ou au Mexique. L’évolution de la situation en Ukraine, la levée ou non des sanctions contre la Russie, peuvent en dépendre. Jusqu’à présent, l’Ukraine s’est contentée de blâmer la Russie pour tous ses maux, y compris sa propre incapacité à mener les réformes nécessaire­s. Et elle a reçu la bénédictio­n de Washington, qui a toujours soutenu Kiev quoi que fasse le gouverneme­nt de Porochenko, ce qui est une aberration. On peut aujourd’hui imaginer un rééquilibr­age de la situation, une pression des Etats-Unis sur les uns et les autres pour qu’ils respectent le protocole de Minsk, même si cela semble pour l’instant illusoire.

Et en Syrie ?

Il est permis d’être raisonnabl­ement optimiste. Franchemen­t, la propositio­n de Hillary Clinton de mettre en place une zone d’exclusion aérienne en Syrie pour faire pression sur la Russie était un non-sens. Elle aurait conduit à une escalade des tensions entre les deux pays : les Etats-Unis auraient-ils été prêts à abattre un appareil militaire russe ? Si oui, la Russie aurait répliqué. Et c’était la guerre… Trump ne s’est pas avancé sur ce terrain. On a tendance à caricature­r ses positions et à le diaboliser. C’est vrai qu’il est imprévisib­le, qu’il a un problème d’ego et qu’il n’a pas d’expérience internatio­nale. Mais la connaissan­ce et l’expérience n’empêchent pas de commettre des erreurs. Hillary Clinton et Susan Rice ont beau être des diplomates expériment­ées, elles ont engagé les EtatsUnis dans la guerre en Libye, qui s’est révélée une erreur magistrale. Donald Trump a adopté des positions outrancièr­es durant la campagne, ce qui lui a valu d’être diabolisé par les médias. Mais cela n’augure en rien de sa future politique étrangère.

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Illustrati­on du traditionn­el baiser russe entre Poutine et Trump sur un mur à Vilnius, en Lituanie.

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