L'Obs

Un poivrot irlandais

Où l’on voit que l’alcool mène à tout à condition de s’en sortir

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Au départ, vous avez un poivrot. Un Irlandais. Un gars du quartier des Liberties, à Dublin. Plus catholique irlandais que ce quartier, vous ne trouverez pas. Enfance catholique irlandaise, entre bière et encens. Terence Kelly commence dans la vie comme enfant de choeur. Il l’est tout le temps de sa scolarité, réduite au minimum, mais quand même, jusqu’à l’âge de 16 ans. Après quoi, il apprend à devenir infirmier et on le retrouve, aux alentours de la trentaine, infirmier dans un hôpital d’Arabie saoudite. Les voyages forment la jeunesse, la sienne est déjà bien passée, ce séjour en Arabie pourra-t-il encore changer quelque chose à sa manière de vivre et de penser ? On va bien voir.

C’était tout vu. En Arabie, l’alcool est hors-la-loi. Qu’est-ce qu’un Irlandais comme Terence Kelly va faire dans un pays comme l’Arabie ? Il va chercher de l’alcool. L’alcool ne se trouve pas dans le pas d’un chameau. Alors, Terence Kelly en fabrique. La police islamique le soupçonne d’en vendre et voilà notre Irlandais catholique en prison.

Ça n’a pas été long. Lui-même l’a raconté. En prison, on lui a donné un Coran traduit en anglais et il a eu la révélation. Quatre semaines de lecture lui ont su pour comprendre que l’alcool était péché, que le catholicis­me était une religion du diable et qu’il n’y a de Dieu qu’Allah. Ecrit noir sur blanc par Mahomet. Si vous voulez le sentiment du chroniqueu­r, un sacré écrivain, ce Mahomet. Transforme­r en quatre semaines un poivrot catholique irlandais en musulman fanatique, par la magie de l’écriture, voilà qui n’est pas donné à beaucoup. Qu’est-ce qu’il fait, notre Terence Kelly, maintenant qu’il est converti ? Il s’abîme en prières, cinq fois par jour, et il achève de purger les huit mois d’emprisonne­ment auxquels il a été condamné.

Puis l’Arabie le fiche dehors. Il se rend au Pakistan. C’est toujours lui qui raconte. Il y vit heureux, musulman parmi des frères musulmans, s’y marie, semble-t-il, avec une musulmane dont il aurait trois enfants, quoi qu’il en soit s’en retourne, tout seul, en Irlande. Il n’y trouve pas de travail, aussi faut-il dire qu’il porte une barbe qui ne le fait pas ressembler à un loup de mer, et il se rend à Londres où il se fait engager à l’hôpital Saint-Thomas. Il y tient de tels propos, notamment quand trois mille New-Yorkais sont tués dans l’attaque aérienne des tours jumelles du World Trade Center, que ses collègues infirmiers refusent de continuer à travailler avec lui et qu’il est mis à la porte.

Nouveau retour à Dublin. Il devient un personnage qui passe à la télé. Pensez : à chaque attentat islamiste, il bat des mains de contenteme­nt. C’est bon pour l’audimat. D’aucuns pensent sans doute qu’il fait un numéro. Terence Kelly ne fait pas un numéro. Il vit sa religion. A fond la caisse. Quand il revient en Angleterre, c’est pour s’exhiber aux côtés d’un prêcheur islamiste qui lance des appels qui le conduiront bientôt, ou bien tard, en prison. Notre Terence, lui, sans attendre qu’on l’arrête, gagne l’autoprocla­mé califat, passe d’Irak en Syrie et de Syrie en Irak, il a pris le nom de Khalid Kelly et apparaît sur des vidéos de Daech en tant qu’Abu Osama Al-Irlandi. Il y appelle au meurtre des infidèles en général et des infidèles catholique­s en particulie­r.

Quatre années ainsi en soldat de Dieu. Les véhicules piégés sont devenus sa spécialité. Jusqu’à ce jour de novembre 2016 où il est montré sur une dernière vidéo de Daech et, cette fois, présenté au passé. Abu Osama Al-Irlandi s’exhibe en combattant, prenant la pose devant une voiture camouflée. Il a 49 ans. L’image suivante, et dernière, est un plan large sur un paysage désolé, une explosion filmée au loin. Ainsi finit l’ancien enfant de choeur Terence Kelly à qui il ne serait pas arrivé, s’il avait toujours bu de l’eau, d’avoir pour oraison funèbre que par son suicide il a tué dans la banlieue de Mossoul « un groupe d’animaux de la milice chiite ». Il n’était pas né pour haïr les chiites mais sait-on pour quoi on naît ?

Il vit sa religion. A fond la caisse.

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