L'Obs

Teulé prend l’air

L’auteur du “Montespan” publie un recueil de quarante nouvelles légères et réjouissan­tes COMME UNE RESPIRATIO­N, PAR JEAN TEULÉ, JULLIARD, 156 P., 17,50 EUROS.

- CLAIRE JULLIARD

Dans « Drôle de drame », Jacques Prévert, dialoguist­e de Marcel Carné, faisait dire à l’un des personnage­s : « A force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver. » Peut-être est-ce pour cela que, le temps d’un recueil, Jean Teulé tourne le dos à sa recension des atrocités humaines. Dans ce registre où sa verve sardonique étincelle, il a ainsi donné à contempler l’horreur carcérale (« Longues Peines »), exhumé un fait divers cannibaliq­ue (« Mangez-le si vous voulez »), évoqué la descente aux enfers d’un roi fou (« Charly 9 ») ou décrit par le menu les exactions d’une empoisonne­use bretonne (« Fleur de tonnerre) ». Cependant, face à la noirceur ambiante, l’écrivain capitule et s’offre une respiratio­n salutaire.

L’ancien bédéiste a rassemblé quarante saynètes, histoires vraies prises sur le vif, parfois agrémentée­s de croquis ou de photos. Moments de solidarité inattendus, instants de grâce glanés çà et là. Au large du cap Fréhel, un ancien boucher nommé Lelièvre sauve un chevreuil en pleine mer. Au sortir de l’inaugurati­on du Salon du Livre, après avoir tiré sur un joint, une éditrice s’offre un retour en métro idyllique en lisant le nom des stations : Gaîté, Plaisance, Bonne-Nouvelle et bien sûr Goncourt. Petits bonheurs de la vie et miracles du quotidien : Teulé se prendrait-il pour le Philippe Delerm de « la Première Gorgée de bière » ? Non, car son côté tourmenté n’est jamais loin. Dans « En visite », une femme voit revenir après des années son écrivain de fils. « Elle déblatère sa peine immense et exige de lui des pardons énormes. » Explosion de haine accumulée. Lui évoque ses succès, mais la terrible génitrice lui prédit la ruine et l’agonit d’injures. Alors il repart et, une fois dehors, écarte les bras, christique, la tête renversée la tête en arrière : « De l’air ! » Dans la nouvelle et la plus allégoriqu­e du livre, l’auteur entre dans un bled de l’Eure par la rue de Coupe-Gorge et poursuit le long de la rue Sauve-qui-Peut. Quoi qu’on en dise, il faut souvent du courage pour être léger. C’est pourquoi on aime bien Jean Teulé. Il nous repose des écrivains français, trop souvent affectés par ce mal rampant, l’esprit de sérieux.

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