Fais pas genre…
Masculin, féminin? Là n’est plus la question. Désormais, dans le luxe, la mode ou la musique, le plus cool, c’est de naviguer entre les genres
C’était il y a un an. En quelques heures, des centaines de milliers d’images de David Bowie inondaient la Toile, submergeant Instagram. Parmi elles, on distinguait le dandy Thin White Duke en chemise blanche, le mulet sauvage de Jareth The Goblin King, la blondeur angélique de Hunky Dory ou le visage grimé de Ziggy Stardust. Autant de personnages à l’altérité flamboyante, naviguant entre le masculin, le féminin, mais aussi et surtout tout ce qui pouvait se trouver entre les deux. Dans les années 1970 ou 1980, cette attitude, souvent réduite à une banale « démarche artistique » (faute de mieux), pouvait surprendre, et il y avait de quoi : résolument anticonformiste, l’Anglais avait fait le choix… de ne pas en faire. Comme Prince, Boy George ou Andy Warhol avant lui, David Bowie était gender fluid, et les genres qu’il mettait en scène ne coïncidaient pas toujours avec son sexe. Un concept étudié depuis les années 1960 aux Etats-Unis avec les premières « gender studies » et qui atteint à présent son paroxysme. « Aujourd’hui, la notion de genre s’infuse partout », note Géraldine Sarratia, journaliste aux « Inrocks » et animatrice de l’émission « Dans le genre de » sur Radio Nova, où la chroniqueuse interroge « la construction du genre » de ses invités, de Melvil Poupaud à Marina Foïs. Une heure d’antenne mensuelle programmée depuis la rentrée 2016 qui semble s’inscrire au sein d’une tendance générale d’ouverture d’esprit sur le sujet. « Car ce que l’on considérait jusqu’ici comme des postures marginales devient en réalité le reflet de profondes mutations de nos sociétés », continue la journaliste.
RAZ-DE-MARÉE MODE
En moins de temps qu’il ne fallait pour le lire, la presse fleurissait donc de termes inédits issus des pays anglo-saxons. « Queer », « gender fluid », « gender neutral », « pangender »… Des dénominations allant de pair avec de nouvelles valeurs embrassées très tôt par la mode. On se souvient des tops transsexuels Andreja Pejić et Hari Nef ou du modèle Hanne Gaby Odiele, qui dévoilait début janvier son intersexualité. Des visages emblématiques qui annonçaient déjà de profonds changements à venir pour l’industrie du luxe. Ainsi, Chanel, Proenza Schouler, Givenchy, Giorgio Armani, Saint Laurent ou Raf Simons n’hésitaient pas à mêler mannequins hommes et femmes lors de leurs derniers défilés, à l’instar d’Alexandre Mattiussi pour son show Ami automne-hiver 2014-2015 : « 35 garçons et 5 filles, détaillait le designer sous l’objectif de Loïc Prigent. Des filles habillées en garçon… » Un élan « gender friendly » confirmé par le prochain défilé de Gucci, pour lequel le directeur artistique Alessandro Michele envisage de réunir définitivement collections masculines et féminines au cours d’un show unique. « Le choix d’habiller des modèles masculins avec du prêt-à-porter féminin – et inversement – est la stricte reproduction de ce qu’il se passe autour de nous : une affirmation puissante de liberté, loin des cases et des étiquettes », confiait le DA au « Vogue » américain en début d’année.
NOUVELLES ICÔNES
« Depuis “la Vie d’Adèle” d’Abdellatif Kechiche en 2013, le courant de pensée est devenu tendance », constate Alice Pfeiffer, rédactrice en chef du magazine alternatif « Antidote » et diplômée d’un master en gender studies de la London School of Economics. « Largement couvert par les médias, ce film a donné l’occasion à des voix concernées de s’exprimer » et, par extension, d’ouvrir une brèche. S’y engouffreront notamment la chanteuse française Christine & The Queens, qualifiée de « pop star défiant les codes du genre » en couverture du mythique « Time » américain en octobre 2016. « Elle a apporté un regard pédagogique au grand public sur le genre », félicite la journaliste.
Des thématiques souvent valorisées par les plus jeunes, pour qui le sujet se fait moins délicat à évoquer qu’auprès des générations passées. Dans une vaste enquête réalisée aux Etats-Unis auprès des 13-20 ans, 81% d’entre eux ont estimé que « le genre d’un individu ne le définissait plus autant qu’auparavant » (1). Leurs aînés n’étaient que 28% à le penser. Des chiffres confirmés par les récentes déclarations des nouvelles icônes de la pop culture. Après Katy Perry ou Zendaya, la marque de cosmétiques américaine CoverGirl faisait du youtubeur James Charles, 17 ans, sa première égérie masculine. La même année, c’étaient les actrices et modèles Rowan Blanchard et Lily-Rose Depp, 15 et 17 ans, qui s’identifiaient publiquement comme « queer » et ne souhaitaient pas définir leur sexualité en termes stricts. Même son de cloche pour Jaden Smith, 18 ans, qui pose en jupe pour Louis Vuitton. La révolution du genre est en marche.
(1) J. Walter Thompson Innovation Group, mai 2015.