L'Obs

LES CINQ PROPOSITIO­NS CHOCS DE RENÉ DOSIÈRE

Connu pour ses enquêtes sur les dérapages financiers de l’Etat et des collectivi­tés locales, le député de l’Aisne publie un livre pour en finir avec les “politiques hors-sol”. Extraits

- © Le Seuil. Les intertitre­s sont de la rédaction.

Le 22 février dernier, à la tribune de l’Assemblée nationale, il a prononcé son dernier discours consacré à la transparen­ce financière des partis politiques. Une question brûlante d’actualité. Après plus de vingtcinq ans de combat pour traquer les dérapages financiers des élus locaux, des ministères et de l’Elysée, René Dosière ne sera pas candidat à la réélection dans l’Aisne. Mais il publie « Argent, morale, politique » (Seuil), un état des lieux de la transparen­ce au pays de Jérôme Cahuzac, Bygmalion et François Fillon. Fidèle à son engagement rocardien, il y plaide pour l’« exemplarit­é, l’exigence, la vérité et l’humilité ». Tandis qu’Emmanuel Macron et son nouvel allié François Bayrou prônent une « grande loi sur la moralisati­on de la vie publique », voici ses dernières propositio­ns pour améliorer l’éthique des élus et tempérer la défiance des citoyens…

SUPPRIMER LE CUMUL DES INDEMNITÉS

« Les rémunérati­ons parfois généreuses que le cumul permet encore pèsent sur le comporteme­nt des individus : la motivation financière progresse régulièrem­ent dans les candidatur­es. Cependant, elle est difficile à combattre puisqu’elle n’est jamais explicitem­ent avouée. Ainsi le maire d’une commune chef-lieu de canton de 2 500 habitants, par ailleurs président d’une communauté de communes de 9 000 habitants, perçoit une rémunérati­on de 3 500 euros mensuels qui, dans un cas sur deux, s’ajoute à sa retraite profession­nelle. C’est bien plus que le salaire moyen masculin (net) en France pour un temps plein, qui est de l’ordre, en 2014, de 2450 euros. Comment s’assurer de la motivation exclusivem­ent d’intérêt public de cet élu local ? Dès lors que l’on s’élève dans la catégorie des élus locaux, l’objectif est d’atteindre, grâce au cumul, le plafond de 8 300 euros mensuels, somme à rapprocher du salaire moyen (net) d’un cadre : 3 900 euros. Ce plafond est d’ailleurs aisément atteint par un parlementa­ire qui cumule avec une fonction d’élu local. Deux mesures au choix, toutes deux d’applicatio­n simple, contribuer­aient à limiter cette inflation et à s’assurer d’une motivation dépourvue d’intérêt financier :

1. Supprimer tout cumul d’indemnités en permettant à l’élu de déterminer celle, unique, qu’il entend conserver.

2. A défaut, et comme mesure de repli en quelque sorte, diminuer le plafond du cumul des indemnités au niveau de l’indemnité parlementa­ire de base, soit 5400 euros. Cette dernière dispositio­n concernera­it immédiatem­ent les futurs parlementa­ires. En effet, si l’interdicti­on du cumul avec une autre fonction exécutive locale entraîne une baisse de rémunérati­on, en particulie­r pour les maires, les députés pourront rester simples membres d’un conseil départemen­tal ou régional, ce qui leur procurera une indemnité supplément­aire de 2 000 à 3 000 euros mensuels, selon les cas.

S’EN TENIR AU MANDAT UNIQUE

En matière de non-cumul des mandats, la législatio­n est devenue, depuis 2000, plus restrictiv­e, puisqu’il est interdit de cumuler plus de deux mandats locaux et même de présider deux exécutifs locaux. Mais les intercommu­nalités (métropoles, communauté­s urbaines, communauté­s d’agglomérat­ion) sont exclues du cumul, ce qui est regrettabl­e. Avec l’interdicti­on, dans la prochaine Assemblée, du cumul parlementa­ire/fonction exécutive locale, un nouveau pas, important, sera réalisé. Instaurer le mandat unique permettrai­t d’exercer la plupart des fonctions locales tout en conservant une activité profession­nelle à temps partiel. Qui croira qu’un mandat de conseiller départemen­tal ou régional nécessite un temps plein ? Le choix du mandat unique ouvrira l’accès aux mandats locaux à des catégories socioprofe­ssionnelle­s qui en sont absentes. S’il ne fait pas de doute que certaines fonctions locales exigent un temps plein : maire d’une ville moyenne ou grande, président de conseil départemen­tal par exemple, il est tout aussi certain que leur nombre peut être strictemen­t limité. Cette mesure permettrai­t aux élus locaux de vivre dans les mêmes conditions que leurs électeurs, ce qui ne peut que les en rapprocher et les rendre plus sensibles à leurs difficulté­s et à leurs aspiration­s.

“AVEC L’INTERDICTI­ON DU CUMUL PARLEMENTA­IRE/ FONCTION EXÉCUTIVE LOCALE, UN NOUVEAU PAS IMPORTANT SERA RÉALISÉ.”

A l’Assemblée nationale, beaucoup de nouveaux députés – de gauche comme de droite – n’ont jamais exercé d’autre activité profession­nelle que politique. Collaborat­eurs d’élus locaux, salariés de partis politiques et de parlementa­ires (nationaux et européens), membres de cabinets ministérie­ls, autant de filières de recrutemen­t qui se sont développée­s ces dernières années grâce au financemen­t public de la vie politique et qui concernent près de 8 000 personnes, uniquement dans les collectivi­tés locales. Le coût de ces collaborat­eurs politiques n’est pas négligeabl­e, puisqu’il atteint 50 millions d’euros par an (16 millions pour les conseils régionaux, 23 millions pour les conseils départemen­taux, 6 millions pour les villes de plus de 100 000 habitants et 5 millions pour la ville de Paris), financés par les collectivi­tés. Tous ces collaborat­eurs sont recrutés sur critères politiques, et leur rémunérati­on peut atteindre des montants élevés : ainsi, dans l’Aisne, le directeur de cabinet du président du conseil départemen­tal émargeait en 2014 à 9 000 brut mensuels auxquels s’ajoutaient des avantages en nature substantie­ls (voiture, frais de représenta­tion). Quand ces collaborat­eurs d’élus parviennen­t à être eux-mêmes élus, que connaissen­t-ils de la vie réelle ? Rien. En outre, leur apprentiss­age politique s’est limité aux aspects les moins nobles de la vie politique : monter des « coups » stratégiqu­es, utiliser toutes les techniques de la communicat­ion, pratiquer la cuisine électorale, etc. Bref, ils sont experts en pratique réaliste et cynique de la politique. Un second vivier d’élus est alimenté par la haute fonction publique. A l’issue d’études brillantes dans les grandes écoles (ENA, ENS, Polytechni­que…), les meilleurs éléments, qui rejoignent les grands corps de l’Etat, intègrent très rapidement les cabinets ministérie­ls, alors même qu’ils n’ont pas exercé (ou si peu) leur métier. Ces années de cabinet serviront ultérieure­ment de marchepied à un « parachutag­e » dans une circonscri­ption proche de Paris – quoique le TGV permette d’élargir la zone. Quelles connaissan­ces de la société réelle peuvent-ils bien avoir dans ces conditions ? Sur le nombre de ces « députés horssol », il n’existe pas de statistiqu­es précises, car les déclaratio­ns des intéressés auprès des services de l’Assemblée nationale – qui n’a ni le pouvoir ni les moyens d’en vérifier l’exactitude – sont souvent inexactes. Ainsi tel apparatchi­k se déclare chef d’entreprise au prétexte d’avoir fondé une petite société de conseil en magouilles politicien­nes ! De même, si l’on connaît le nombre de parlementa­ires issus des grands corps de l’Etat, on ignore la proportion de ceux qui ont rejoint très tôt les cabinets ministérie­ls. Une étude sur cette question reste à faire. […]

Pour limiter le nombre de « profession­nels », une mesure aussi simple que claire serait de fixer la

EN FINIR AVEC LA “CARRIÈRE POLITIQUE”

limite d’âge pour l’accès à la fonction parlementa­ire à 44 ans. On a abaissé – en 2011 – la limite d’âge à 18 ans, or les conditions nouvelles de la vie politique, notamment le financemen­t public et le non-cumul des mandats parlementa­ires avec une fonction locale, ne peuvent que favoriser cette catégorie de « profession­nels ». La fixation d’une limite d’âge impliquera­it, pour les futurs députés, d’avoir exercé au préalable une vraie activité profession­nelle, voire un mandat local à temps partiel. Je n’ignore pas les effets secondaire­s de cette limite d’âge mais, entre deux maux, il faut choisir le moindre !

LIMITER LES MANDATS DANS LE TEMPS

Pour éviter le conservati­sme, l’engourdiss­ement, et surtout pour combattre les risques de corruption ou de conflit d’intérêts, la limitation dans le temps des mandats locaux exercés pourrait être un outil efficace. Une série de trois mandats, soit quinze ans, me semble répondre à cet objectif. Cette période maximale est suffisante pour donner au parlementa­ire, d’un strict point de vue politique, le temps de faire ses preuves dans la majorité et dans l’opposition car, depuis 1981, aucune majorité n’est restée au pouvoir plus de deux mandats.

CONTRÔLER LES FINANCES DES PARTIS

Le financemen­t public des partis politiques comporte une faille importante, à savoir l’absence de tout contrôle. Cela explique, notamment, leur nombre invraisemb­lable et les graves dérives qui sont apparues lors de la campagne présidenti­elle de Nicolas Sarkozy, par exemple, avec le financemen­t des activités de Bygmalion par les Républicai­ns, ainsi que les procédures judiciaire­s concernant le micro-parti Jeanne de Marine Le Pen, sans oublier les silences de Jean-Marie Le Pen sur l’activité bancaire de Cotelec. La législatio­n de 1988, très insuffisan­te, n’a jamais été complétée. Il convient de mieux définir ce qu’est un parti politique, et d’opérer un contrôle sur ses dépenses ou, à tout le moins, sur une partie d’entre elles, à définir. Le rôle des partis dans un régime démocratiq­ue est suffisamme­nt important pour que la transparen­ce de leurs finances et de leur gestion s’impose. A défaut d’une avancée sur ce point, les citoyens s’interroger­ont légitimeme­nt sur ce que cache cette opacité, sachant que près de 50% des ressources des partis proviennen­t de l’argent public.

François Bayrou réclame une « loi de moralisati­on de la vie publique, notamment sur la lutte contre les conflits d’intérêts ».

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A l’Assemblée, le 22 février, le député défend une propositio­n de loi visant à rendre plus transparen­t le financemen­t des partis politiques.
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Coût des campagnes électorale­s, rémunérati­on des élus, financemen­t des partis… L’ancien vice-président de l’Assemblée Nationale René Dosière propose des solutions pour plus de rigueur, de transparen­ce et de contrôle démocratiq­ue.

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