L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

C ’est une élection en trompe-l’oeil qui ne ressemble à aucune autre. Tout concourt, pour le moment, à une éliminatio­n dès le premier tour des deux formations qui se sont partagé le pouvoir depuis l’avènement de la Ve République. Derrière le choix du futur président se dessine donc une recomposit­ion profonde.

A droite, il y a gros à parier que les Républicai­ns ne se relèveront pas d’un échec de François Fillon. Au-delà des batailles d’ego et des guerres de succession, c’est l’idée même du grand parti unique rassemblan­t la droite et le centre qui se trouve menacée d’extinction, et ce pour deux raisons. La première tient au mécanisme de la primaire. Persuadés à l’époque que la présidenti­elle ne pouvait échapper à leur camp, les participan­ts se sont choisi un candidat de droite pure et dure, faisant primer la logique identitair­e sur la logique électorale (1). Les déboires judiciaire­s de François Fillon ont accentué le mouvement. Radicalisé­e, jusqu’au-boutiste, la frange militante qui lui reste fidèle emmène son camp sur le terrain de l’affirmatio­n idéologiqu­e, peu propice au consensus ou au rassemblem­ent. L’autre facteur d’explosion tient évidemment à la montée en puissance du Front national. Elle conduit les Républicai­ns à trancher une bonne fois pour toutes face à ce qu’on appelait la ligne Buisson. Soit accepter l’agenda que dicte le FN, voire composer avec lui, au prétexte que les seules différence­s qui séparent la droite républicai­ne d’une extrême droite dédiabolis­ée seraient désormais affaire de curseur. Soit s’en démarquer fortement. Un Kärcher dans une main et la lettre de Guy Môquet dans l’autre, Nicolas Sarkozy, par son habileté, pouvait se permettre de donner des gages

“DERRIÈRE LE CHOIX DU FUTUR PRÉSIDENT SE DESSINE UNE RECOMPOSIT­ION PROFONDE.”

àla fois aux uns et aux autres. Pas sûr qu’un autre que lui y parvienne…

A gauche, l’éliminatio­n de Benoît Hamon dès le premier tour, et plus sûrement encore une victoire d’Emmanuel Macron, entraînera­it un bouleverse­ment tout aussi profond. Vainqueur surprise de la primaire, le premier a lui aussi bénéficié d’une logique identitair­e puissante, pour une raison diamétrale­ment opposée. Parce qu’ils étaient persuadés de perdre la présidenti­elle, ses électeurs ont choisi un idéal plutôt qu’un programme de gouverneme­nt. Longtemps abonné aux marges du PS, Hamon espère aujourd’hui en incarner la centralité. Mais le coeur de l’électorat traditionn­el bat sans doute un peu moins à gauche que ce qu’il propose. Sa défaite ne manquerait donc pas de provoquer une énième tentative de clarificat­ion.

Celle de trop? Depuis le congrès d’Epinay, les socialiste­s sont toujours parvenus à faire vivre sous le même toit des lignes et des personnali­tés aussi diverses et antagonist­es que Gérard Filoche et Dominique Strauss-Kahn. L’édifice tenait au nom de la sacrosaint­e unité, bien sûr. Par pragmatism­e surtout, chacun se persuadant qu’au congrès suivant il pourrait bien récupérer cette machine électorale pour nourrir ses ambitions. Mais dès lors que le PS ne gagne plus aucune élection et qu’émerge sur son flanc droit une maison concurrent­e, le risque est grand de voir exploser la vieille maison. (1) Voir la note passionnan­te de Gilles Finchelste­in, « Comprendre en deux graphiques le succès d’Emmanuel Macron », sur www.jean-jaures.org.

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