L'Obs

Le point de vue de Nicolas Colin

- Par NICOLAS COLIN Associé fondateur de la société d’investisse­ment TheFamily et professeur associé à l’université Paris-Dauphine. N. C.

Entre deux révélation­s sur François Fillon et son rapport à l’argent, la campagne présidenti­elle nous ménage de rares occasions d’échanger sur les politiques publiques. Par exemple, le groupe des Economiste­s atterrés a récemment publié une critique au vitriol du programme d’Emmanuel Macron, dénonçant notamment ce qu’ils appellent le « mythe de la formation » – l’idée selon laquelle il suffirait de former les chômeurs pour que ceuxci retrouvent enfin un emploi. Marc Ferracci, conseiller d’Emmanuel Macron, leur a rappelé dans des termes peu amènes que « 80% des demandeurs d’emploi n’ont pas plus que le baccalauré­at et [que] le diplôme reste une protection efficace contre le chômage ».

Dans un contexte de rareté des emplois, on comprend le scepticism­e des Economiste­s atterrés. Plus que la barrière de la qualificat­ion, ce sont la dureté des conditions de travail et la modicité des salaires qui expliquent la vacance des emplois dans des secteurs comme la restaurati­on, l’hôtellerie, l’aide à domicile, la santé ou la sécurité. Dans d’autres secteurs, les efforts de formation sont plutôt une manière pour les travailleu­rs de jouer des coudes pour accéder aux rares emplois disponible­s : il en résulte une inflation des diplômes sans rapport avec les besoins des entreprise­s.

Par ailleurs, le diplôme ne vaut « protection efficace contre le chômage » que s’il est obtenu après un choix d’orientatio­n précoce, une sélection rigoureuse, une implicatio­n personnell­e durable, des rencontres inspirante­s. Une formation, ce n’est pas seulement apprendre les gestes pour exercer un nouveau métier, c’est aussi s’intégrer à un groupe, élargir son réseau, saisir sa chance quand elle se présente et finalement décrocher un titre permettant d’envoyer un signal rassurant aux employeurs.

Un effort massif de formation de la main-d’oeuvre a parfois permis, dans le passé, de déclencher un cercle vertueux de croissance économique et de création d’emplois. Aux EtatsUnis, le GI Bill de 1944 est un exemple célèbre. L’Etat américain s’était engagé par cette loi à financer des études supérieure­s pour tous les vétérans mobilisés au cours de la Seconde Guerre mondiale. La massificat­ion du système d’enseigneme­nt supérieur avait ensuite provoqué une montée en compétence­s de la main-d’oeuvre. Les effets sur la productivi­té horaire des travailleu­rs avaient été spectacula­ires.

Un GI Bill à la française serait-il suffisant pour réduire le chômage et relancer la croissance ? Il est permis d’en douter. Dans notre économie en transition, où les entreprene­urs découvrent sans cesse de nouveaux modèles, il est difficile de prédire les besoins des entreprise­s. Quand ces besoins sont connus, notamment dans les secteurs de service de proximité (qui créent le plus d’emplois car ils résistent le mieux à l’automatisa­tion), les freins à la création d’emplois n’ont souvent rien à voir avec la formation. Le problème est plutôt le manque d’attractivi­té dû aux faibles rémunérati­ons, aux horaires décalés, à l’absence de reconnaiss­ance, à la pénibilité, à la tension sur les marchés immobilier­s urbains, ou encore à la difficulté de faire garder ses enfants pendant les horaires de travail.

Dans certains cas, des règles obsolètes empêchent de tirer parti de la transition numérique pour créer plus d’emplois moins qualifiés. Contrairem­ent aux idées reçues, les technologi­es numériques abaissent plus qu’elles n’élèvent les besoins en qualificat­ion : elles permettent à des travailleu­rs plus nombreux et moins qualifiés de rendre un service de qualité de manière plus productive sur un marché plus large. Grâce à elles, on pourrait théoriquem­ent remplacer des médecins par des infirmiers, des artisans expériment­és par de jeunes technicien­s, des avocats par de simples juristes utilisant des outils logiciels pour démocratis­er l’accès au droit. Le problème, c’est que les corporatio­ns concernées défendent le statu quo et empêchent la création de ces emplois moins qualifiés rendus viables par la technologi­e.

Comme souvent en France, le débat sur la formation des chômeurs est frustrant car irrémédiab­lement ancré dans le passé : les nostalgiqu­es des Trente Glorieuses polémiquen­t avec les passionnés des politiques structurel­les des années 1990. Il est grand temps de sortir de ces débats sans rapport avec l’économie d’aujourd’hui. Nous ne sommes plus au temps du GI Bill, où l’enjeu était de reconverti­r l’économie après une longue guerre, ni à l’époque des Trente Glorieuses, où il fallait former la main-d’oeuvre pour une économie de rattrapage. Ni même dans les années 1990, où la transition numérique ne produisait pas encore tous ses effets.

Aujourd’hui, l’enjeu est moins d’élever le niveau de qualificat­ion de la main-d’oeuvre que de redéployer celle-ci vers des activités et des modèles plus en phase avec l’économie numérique. Nous ne réduirons pas le chômage en formant plus de chômeurs pour les préparer aux emplois d’hier, mais en créant les emplois moins qualifiés de demain et en les sécurisant pour les rendre plus attractifs.

“LES FREINS À LA CRÉATION D’EMPLOIS N’ONT SOUVENT RIEN À VOIR AVEC LA FORMATION.”

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