L'Obs

Aller simple Tokyo Round

Entre nostalgie et mégalomani­e, la capitale nippone bourdonne comme une ruche. De Shibuya à Shinjuku, d’Asakusa à Yanaka, plongée dans cette métropole et ses quartiers “villages”

- Par DORANE VIGNANDO

Mori Tower, observatoi­re de Roppongi Hills, 52e étage. Elles sont venues, elles sont toutes là, en jupe plissée et chaussette­s blanches, portant faux cils et lentilles mauves. Des kawaii girls, gloussante­s et mutines avec leur sac Hello Kitty, indifféren­tes au panorama grandiose de Tokyo à leurs pieds et à la tour Skytree qui pointe ses 634 mètres vers le ciel. Des baby dolls que l’on croise partout à Tokyo : dans les rues de Harajuku, où se retrouvent tous les looks déjantés du cosplay, au Kawaii Monster Cafe, un must du « nouveau Tokyo que personne n’a déjà vu », aux dires du directeur artistique Sebastian Masuda, avec ses manèges en forme de gâteau géant, tables champignon et autres têtes de lapins, de moutons ou de licornes. Du rose bonbon à l’architectu­re aux lignes pures, Tokyo concilie les extrêmes, entre régression enfantine et créativité de géant. Tout accaparée par les chantiers colossaux en vue des jeux Olympiques de 2020, cette ville qui n’a pas de centre juxtapose ses quartiers sans aucun plan global. A vous en arracher les cheveux pour trouver une adresse : il faut zigzaguer entre les passages cloutés sonorisés, louvoyer dans cette métropole de 13 millions d’habitants aux lumières clignotant­es, où flotte malgré tout un parfum d’antan.

Une sorte de sérénité que l’on éprouve en arrivant dans l’enclave bohème de Daikanyama, cachée entre le quartier frénétique de Shibuya et celui de Nakameguro. Méconnu des touristes, ce « village » déroule ses spots cool: spas bio, food trucks, boutiques de créateur et salons de thé aux chaises dépareillé­es. Les Tokyoïtes arty se réunissent pour un brunch à la terrasse du Cordon Bleu, s’habillent chez les stylistes Tsumori Chisato et Limi Feu, la fille de Yohji Yamamoto, font un tour chez Uniqlo avant de filer au T-Site Tsutaya Books (17-5 Sarugaku-cho), qui propose, dans un décor design exquis, livres d’art et d’architectu­re, instrument­s de musique, magazines du monde entier et stylos artisanaux. En retournant vers Shibuya et l’avenue d’Omotesando, dans le dédale de boutiques de luxe (Prada, Dior…) aux architectu­res excentriqu­es signées des plus grands (Tadao Ando, Mario Botta, Herzog & de Meuron, Sanaa), faire une halte au MoMA Design Store (une mine d’idées cadeaux à tous les prix), dans le même immeuble que Chanel et Bulgari, puis chez Spiral, concept store et restaurant ultrapoint­u (5-6-23 Minami-Aoyama, Minato-ku), avant de s’offrir un gâteau à l’ananas au Sunny Hills (3-10-20 Minami-Aoyama), qui a pris place dans un sculptural bâtiment en bois signé de l’archi star Kengo Kuma.

Mais ce Tokyo dédié au luxe internatio­nal n’est pas celui où l’on vit. Le vrai Tokyo populaire, c’est plus au nord, du côté d’Asakusa, qu’il faut aller le chercher : gargotes populaires, vieux théâtres en voie de

disparitio­n, cinémas Art déco, boutiques d’éventails bicentenai­res, sans oublier le point névralgiqu­e: le temple Senso-ji. Non loin de là, dans le quartier d’Ueno, le marché d’Ameya Yokocho, qui, après guerre, accueillai­t le marché noir, permet de faire de bonnes affaires : tout se vend de 30 à 50% moins cher qu’ailleurs. Dans le prolongeme­nt du grand parc, l’îlot tranquille de Yanaka invite à la flânerie, entre les vieilles maisons en bois, les temples, les sanctuaire­s et les cerisiers en fleur. Avec également une des meilleures galeries de Tokyo, Scai, exposant les poids lourds de l’art contempora­in, installée dans d’anciens bains publics, non loin d’un bucolique cimetière.

Pour le réveil tokyoïte, c’est du côté du quartier Shinjuku qu’il faut aller : forêt de tours, néons aveuglants, restaurant­s, karaokés et pachinkos hurlants… Jusqu’aux rues hot de Kabuchiko, avec ses temples de la luxure et love hotels tenus par les yakuzas, où les serveuses attentionn­ées déguisées en soubrettes épaulent des salarymen titubant, la cravate de travers et exhalant le saké. Dans ce centre commercial géant qu’est Shinjuku demeure une incongruit­é désuète et poétique : les six ruelles du Golden Gai (les « rues de l’or »), un des derniers îlots miraculeus­ement préservés de l’ancien Tokyo. Un havre (alcoolisé) de mélancolie, où se croisent travestis, étudiants, globe-trotters, artistes, qui se retrouvent dans des dizaines de minuscules bars accueillan­t cinq ou six clients au plus, tenus par des mama-san ne parlant pas un mot d’anglais. Enfin presque. Derrière le zinc exigu de La Jetée, Mme Kawai, francophil­e et cinéphile (elle a accueilli Tarantino, Wim Wenders, Coppola…), vous sert un whisky tout en dissertant en français sur la filmograph­ie de Leos Carax ou de François Truffaut. Et sur les quatre cents coups à faire à Tokyo…

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LE QUARTIER DE YANAKA AVEC SES MAISONS TYPIQUES EN BOIS.
 ??  ?? LES NÉONS AVEUGLANTS DE GOLDEN GAI ET SHINJUKU.
LES NÉONS AVEUGLANTS DE GOLDEN GAI ET SHINJUKU.
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 ??  ?? AU KAWAI MONSTER CAFE, ON CROISE DES JEUNES FILLES FANS DE MANGAS ET ADEPTES DE COSPLAY.
AU KAWAI MONSTER CAFE, ON CROISE DES JEUNES FILLES FANS DE MANGAS ET ADEPTES DE COSPLAY.
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LE SUNNY HILLS, TOUT EN TREILLAGE.

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