FARAGE, VRP EUROPHOBE À LA MAISON-BLANCHE
L’ancien chef de l’Ukip, le parti d’extrême droite britannique, et Donald Trump se sont juré d’en finir avec l’Union européenne. Rencontre
La porte du bureau 007 du Parlement européen de Strasbourg s’ouvre sur un faux James Bond en costume rayé et cravate rose. « Bienvenue dans le seul bureau de la maison où vous pouvez fumer et boire ! » Cendrier plein sur la table, une bouteille de vodka sur l’étagère, l’excentrique Nigel Farage nous gratifie d’une de ses impressionnantes grimaces qui lui déforment le visage. L’alcool, surtout la bitter anglaise, est sa première passion. Le héraut de la campagne pour le Brexit a passé sa carrière dans des pubs, une pinte à la main, à rechercher la compagnie de ceux qui goûtent les discussions bien arrosées. Que faisait-il alors à la table de Donald Trump le 25 février dernier dans son hôtel de Washington ? Le président américain a la réputation d’être sobre comme un chameau. Mais Nigel Farage lui a trouvé une
autre qualité. Trump partage sa deuxième obsession : la mise à mort de l’Union européenne.
Depuis quelques mois, une surprenante complicité est née entre le président à la mèche blonde et l’ancien chef de l’United Kingdom Independence Party (Ukip), la droite europhobe britannique. L’ancien trader de la City, reconverti en député européen, est la première personnalité politique étrangère à avoir été reçue par le président américain. Deux jours après son élection, le 11 novembre, Trump lui accorde un entretien d’une heure dans son bureau tapissé d’or de la Trump Tower. La rencontre est immortalisée par la photo des deux compères ricanant comme des écoliers. Ils ont réussi leur coup, damé le pion à « l’establishment » honni, lancé « une révolution globale ». Farage jubile : « Le Brexit était une grande chose, mais l’élection de Trump est un Brexit plus plus plus! » Depuis, ils affichent leur « love affair » comme s’ils jouaient dans une sitcom. « Donald Trump, il m’a dit : “Tu seras mon ami pour la vie” », se vante le Britannique. Et l’autre, de roucouler, dans « The Times » en janvier : « Comment va notre Nigel ? Je l’aime bien, c’est un type formidable. » Ensuite ils se sont revus au moins deux fois, le 15 décembre et le 25 février.
Au lendemain du référendum sur le Brexit du 23 juin, on a cru que Nigel le bateleur allait raccrocher les crampons. Après avoir passé vingt ans à ferrailler contre l’Union européenne, il avait réalisé son rêve : l’île britannique retournait à son « splendide isolement ». Que vient-il faire maintenant de l’autre côté de l’Atlantique ? Selon Anthony Gardner, l’ex-ambassadeur américain à Bruxelles, « Nigel Farage semble avoir disséminé à Washington une perception caricaturale de l’Union européenne », nous dit-il. Farage serait-il devenu l’homme de Trump en Europe? Le président américain aurait aimé le voir occuper un poste prestigieux. « Beaucoup de gens voudraient voir @Nigel_Farage représenter la Grande-Bretagne en devenant ambassadeur aux Etats-Unis. Il ferait un excellent travail ! », a-t-il tweeté. Londres n’a pas apprécié. Farage se contentera du rôle de conseiller de Trump sur les affaires européennes. « Pas officiellement », précise-t-il.
C’est avec un malin plaisir qu’il entretient le doute sur l’étendue réelle de son influence. Ce vieux briscard maîtrise à la perfection l’art de rester au coeur de l’attention médiatique. Est-ce lui qui a murmuré à l’oreille de l’homme le plus puissant de la planète les réflexions europhobes que ce dernier égrène depuis son élection ? Nigel Farage répond narquois : « Ah, ah, on cherche des coupables, j’aurais endoctriné Trump ! » Puis, plus sérieusement : « Je n’ébruite jamais les discussions privées, mais vous pouvez me croire sur parole : Trump considère les organisations supranationales, dont l’Union européenne, comme des erreurs. » Est-ce lui aussi qui a soufflé le nom du prochain ambassadeur pressenti à Bruxelles? « Je ne parviens pas à m’en souvenir », minaude-t-il avec délectation. L’homme en question, Ted Malloch, est un antieuropéen convaincu. « Je l’aime bien, je le connais, admet Farage. Je pense que s’il a le job, ça va être extrêmement intéressant. Ce sera le signe d’un virage à 180 degrés de la politique américaine vis-à-vis du projet européen. L’ambassade américaine sera un endroit où aller dîner ! », conclut-il dans un éclat de rire. Le journaliste du « Daily Mail » Quentin Letts, qui a ripaillé à maintes reprises avec Farage, nous met en garde : « Il ne semble jamais se prendre au sérieux. Mais, au fond de lui, il est très fier et ne supporte pas que l’establishment ne lui accorde pas plus de respect. » Avec Trump, Farage a pris sa revanche sur cette « élite » haïe qui l’a traité de bouffon et vilipendé pour ses saillies racistes. Avec Farage, Trump s’est, lui, trouvé un amuseur de cour, un visiteur du soir, un chevalier blanc.
Cette idylle transatlantique a débuté l’été dernier, à Jackson, dans le Mississippi. Donald Trump est en train de clore son discours quand il annonce : « Et maintenant, voici l’homme derrière le Brexit. Mesdames et messieurs, voici Nigel Farage ! » « Mr. Brexit », comme il l’appelle, s’avance, le rose aux joues, sous les applaudissements. La campagne du candidat républicain est alors en train de s’enrayer. Il enchaîne les bévues, les petites phrases scandaleuses. Le seul à venir à sa rescousse, c’est « Mr. Brexit ». Il ne l’oubliera pas. S’il lui ouvre sa porte après son élection, c’est en signe de remerciement. « Le Brexit a fasciné l’équipe de Trump, et ils ont vu en Farage l’architecte de ce bouleversement », analyse le politologue britannique Robert Ford. Un homme est au coeur de ce rapprochement : Stephen Bannon, le conseiller stratégique de Trump. « Ses idées seront toujours écoutées sérieusement à la Maison-Blanche », dira-t-il de Farage en décembre au magazine américain « Bloomberg ». Farage l’a rencontré en 2012 à Washington. « Je voulais que les Américains comprennent que l’Union européenne n’était pas seulement comme le traité de libre-échange nord-américain, que c’était, en réalité, un projet politique bien plus grand, nous raconte-t-il. Et c’est là que je me suis lié d’amitié avec Bannon. » Bannon partage son antipathie pour l’UE, l’Otan et les flux d’immigration. Après avoir pris la tête de Breitbart, un site populiste anti-establishment, il lance en 2014 une version britannique. « Il a fait beaucoup pour pousser certains de mes arguments » pendant la campagne du Brexit, reconnaît Nigel Farage. « Les types de Breitbart étaient toujours à ses côtés. Ils sont influents, ce sont des idéologues, ce sont eux qui ont fait basculer notre parti dans une campagne sale et raciste », estime un membre de l’Ukip qui n’a pas goûté cette proximité.
Aujourd’hui, quand il ne rôde dans l’entourage de Trump, Farage signe des tribunes sur Breitbart, défendant le président américain. On peut le voir aussi déverser sa hargne contre l’Europe sur la chaîne américaine Fox News, où il officie comme analyste, et sur la radio britannique LBC, où il tient une émission. L’évangéliste antieuropéen a repris son bâton de pèlerin. Objectif : « Aider les mouvements d’indépendance qui émergent dans d’autres parties de l’Union européenne, car s’il y a une chose dont je suis certain, c’est que le Royaume-Uni ne sera pas le dernier pays à vouloir quitter l’UE. » Sa prochaine cible? « Je suis fasciné par l’élection française », nous confie-t-il. Il se méfie encore du FN en raison de son antisémitisme historique. Mais « si Marine Le Pen gagne et qu’elle obtient un référendum pour quitter l’Union, l’élection française sera un événement majeur pour le monde entier. C’est vous les stars cette année. » Farage a prévu de couvrir notre élection pour Fox News. C’est encore le meilleur moyen de conseiller Trump, qui a révélé que la chaîne était sa principale source d’information.