L'Obs

Vol 841 pour Alger

NOUS AVONS ARPENTÉ UN CHEMIN CAILLOUTEU­X, PAR SYLVAIN PATTIEU, PLEIN JOUR, 160 P., 13 EUROS.

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

En ce temps-là, la mode était aux pattes d’eph, aux coupes afro et aux détourneme­nts d’avion. C’était « plus facile que braquer une banque », et « il ne serait venu à l’idée de personne de les précipiter contre une tour, ni de les faire exploser ». Le 31 juillet 1972, les quatre-vingt-quatorze passagers du vol 841, Detroit-Miami, ont donc été pris en otage par une petite bande de Noirs américains poussés à bout par des décennies de ségrégatio­n raciale. L’un était déguisé en prêtre. Un « mec du FBI à poil » leur a remis un million de dollars après avoir traversé le tarmac dans son « caleçon de bain moulant à rayures ». Puis ils ont relâché tout le monde, sans un coup de feu. Et filé à Alger, où les attendaien­t quelques Black Panthers en piteux état, des autorités locales qui ont réquisitio­nné leurs dollars, et un gros, un énorme paquet de désillusio­ns. Parmi les pirates se trouvait un couple : Jean et Melvin McNair (photo), avec leurs deux enfants. Passés d’Algérie en France, ils ont connu la clandestin­ité et la prison, pendant que le FBI s’acharnait à réclamer leur extraditio­n. Ils ont rencontré et reçu les soutiens de gens comme Sartre, Montand et Simone Signoret. Ils ont fini par s’exiler dans un quartier périphériq­ue de Caen : la Grâce de Dieu, dont ils sont devenus des sortes d’anges gardiens. Là, leur lutte contre les inégalités a pris d’autres formes, nettement plus pacifiques : cours de base-ball, soutien scolaire, accueil d’enfants battus par leurs parents. On ne savait pas forcément le geste irrémédiab­le qu’ils avaient commis le 31 juillet 1972, mais les témoignage­s sur leur générosité abondent. « On a plusieurs vies, c’est un fait », observe Sylvain Pattieu. Mais « qu’est-ce qu’on peut faire après avoir détourné un avion ? ». Le destin de ce couple peu commun méritait bien un livre comme le sien. C’est un récit très actuel, plein d’empathie, d’intelligen­ce et de détails terribles qui ne s’inventent pas. Un petit chefd’oeuvre de narrative non-fiction, comme on dit aux Etats-Unis – ce pays où il reste si difficile d’être noir, ce pays que Jean et Melvin McNair n’ont jamais revu.

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