Sofi Oksanen, ça décoiffe
Avec “Norma”, l’auteur de “Purge” livre un étonnant thriller féministe subtilement tiré par les cheveux
NORMA, PAR SOFI OKSANEN, STOCK, 396 P., 22 EUROS. TRADUIT DU FINNOIS PAR SÉBASTIEN CAGNOLI.
De « Purge » aux « Vaches de Staline » en passant par « Quand les colombes disparurent », on a parfois accusé Sofi Oksanen d’écrire toujours le même livre, soit de sombres histoires de famille permettant d’explorer le trouble passé estonien, successivement sous domination soviétique, puis nazie, puis soviétique à nouveau. Cette fois, ses détracteurs risquent d’être déroutés. Avec « Norma », la romancière finlandaise livre un drame familial résolument ancré dans le présent, avec des soupçons de réalisme magique. La mèche qui frise, les pointes qui rebiquent, les racines qui tirent : chez Norma Ross, les émotions se manifestent par les cheveux, qui, par ailleurs, poussent de plusieurs mètres par jour. La jeune femme est, en outre, capable de détecter à travers la chevelure des autres leur alimentation, leurs hobbies, leurs maladies et leur probable date de décès. Quand Anita, sa mère et unique confidente, est retrouvée morte sur les rails du métro de Helsinki, Norma refuse de croire au suicide et décide d’enquêter. Mais chez Magicoiffure, le dernier lieu de travail de sa mère, on s’interroge plutôt sur la provenance des extensions prétendues « ukrainiennes » qu’elle fournissait et dont toutes les clientes raffolent. L’auteur elle-même est dotée d’une impressionnante crinière de dreads multicolores. Dans « Norma », son écriture se fait parfois précise, parfois poétique, mais toujours avec une certaine urgence qui donne envie de connaître le dénouement. Elle pourrait rapprocher son héroïne de Raiponce, mais préfère retracer une histoire culturelle du cheveu féminin à travers quelques beautés hirsutes ayant vraiment existé : les sept soeurs Sutherland, qui vendirent leurs talents à l’industrie du cirque, ou la fascinante Elizabeth Siddal, dont les abondantes boucles rousses auraient continué de pousser jusque dans le cercueil. « Norma » est un touchant portrait d’une marginale qui essaie d’échapper à son destin de bête de foire, doublé d’une critique sociale visant à dénoncer l’exploitation commerciale du corps des femmes, de l’utérus aux cheveux, « et les hommes qui continuent d’empocher les bénéfices ».