VALLS : POURQUOI IL A CHOISI MACRON
Malgré leurs désaccords passés, l’ancien Premier ministre s’engage clairement derrière le leader d’En Marche!. Il juge indispensable une recomposition en profondeur du paysage politique et entend peser de tout son poids lors des futures législatives
Mai 2016. Le Premier ministre et le ministre de l’Economie lors d’un déplacement.
Il a choisi. Clairement. Il ira là où ses idées le portent. Vers la gauche de gouvernement, celle du réformisme, de l’inévitable compromis. Il soutiendra clairement Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection présidentielle, quels que soient les procès en trahison qui lui sont intentés à gauche. Sans condition, sans négociation dans les coulisses. Ce ne sera pas un soutien de circonstance, un ralliement « petit bras ». Il le dit sans détour : « Je n’ai jamais changé de position, depuis le début de mon engagement en politique, dans le sillage de Michel Rocard. Je suis un social-démocrate, chaque jour que je vis. Et pas un jour sur deux. » Quel camarade socialiste vise-t-il? Benoît Hamon? François Hollande? Dans une brasserie de la place de la Bastille, autour d’un café, Manuel Valls apparaît serein, reposé, apaisé. Il n’a plus cette tête de forteresse assiégée, de Robocop de la politique enfermé dans ses certitudes. Il a desserré les mâchoires. Le vaincu de la primaire de la gauche, après avoir, un temps, eu la « tentation de Séville », pour se réinventer, selon la formule de ses proches, a décidé de repartir au combat. Après cinq années de pouvoir, il était essoré, encalminé dans un rôle de capitaine Courage, droit dans ses bottes, toujours prêt à dégainer son 49.3. « Je sais que mon image, vers la fin, était devenue illisible, confie-t-il. Ces années de pouvoir, les attentats de “Charlie”, du 13 novembre, de Nice, et tous les autres, cela vous change un homme. Jamais je n’oublierai ces moments. » Durant la campagne de la primaire de la gauche, l’ancien Premier ministre a compris que son message ne passait pas. Celui du protecteur du pays, dur au mal, l’oeil noir, les épaules raides, pourchassant sans répit l’ennemi djihadiste et ses alliés. « Il n’a pas vu que les électeurs avaient besoin de souffler, souligne un de ses amis députés. Ils voulaient oublier qu’ils étaient en guerre et que le monde entrait dans une zone de hautes turbulences. Ils avaient besoin d’une dose de tranquillisants, une balade en utopie. C’est Benoît Hamon, à tort ou à raison, qui portait ce message. » Manuel Valls l’anxiogène ? « Ce problème, je l’ai ressenti clairement quand j’ai été agressé par un jet de farine, puis par cette gifle, en Bretagne, avoue Manuel Valls. Mon énergie passait pour de la brutalité. Ce ne fut pas facile. Mais je n’ai ni regrets ni amertume. Aujourd’hui, le problème n’est pas lié à ma personne. L’heure des petits calculs est révolue. » En d’autres termes, le pacte national dont il rêvait depuis plusieurs années est désormais à portée de main. Peu importe qu’il ne soit plus aux manettes. Peu importe la rivalité qu’il a pu avoir au gouvernement avec son ancien ministre de l’Economie, celui qui a franchi toutes les lignes rouges à sa place. Peu importe que ce dernier soit en passe de l’emporter en mai prochain. Peu importe que le leader d’En Marche ! fasse la fine bouche en dédaignant son appui. « Il faut assumer la responsabilité d’aider le prochain président de l’arc républicain. En premier lieu, Emmanuel Macron, bien sûr, dès avant le premier tour. Je le dis clairement. Même si François Fillon sortait vainqueur de ce combat, précise-t-il, il faudrait aussi chercher à trouver des compromis avec la droite parlementaire. Sans se renier, sans gommer nos différences. Mais il faut en finir avec les dogmes. Ne plus s’enfermer dans des postures figées, politiciennes, repliées sur elles-mêmes. »
CONTACTS À DROITE
Ce pacte national sur lequel travaillent les équipes d’Emmanuel Macron, qui révulse tant les frondeurs socialistes, Manuel Valls l’avait envisagé quand il était en poste à Matignon. « Fin 2015, après la déroute des régionales, en plein traumatisme post-attentats, des contacts ont été engagés discrètement avec des hiérarques de la droite, reconnaît Luc Carvounas, sénateur-maire d’Alfortville, proche de Manuel Valls. Brice Hortefeux a été sollicité… » D’autres personnalités des Républicains, comme Jean-Pierre Raffarin, ont participé à des réunions informelles et secrètes avec les vallsistes sur le thème du « pacte national ». Alors, aujourd’hui, avec la menace Marine Le Pen, le « front républicain » cher à l’ex-député d’Evry est plus que jamais d’actualité. Pourquoi Emmanuel Macron, qui voit venir autour de lui chiraquiens, juppéistes et autres centristes effarés par la campagne calamiteuse de François Fillon, fermerait-il la porte à un homme qui fut son ancien Premier ministre? Valls le
Maudit serait-il devenu infréquentable? « La question n’est pas là, se défend l’ex-locataire de Matignon. Après les législatives, les députés socialistes devront clairement se déterminer pour participer à une majorité parlementaire, républicaine, d’une manière ou d’une autre, sans exclusive, sans oukase. C’est de cela que nous devons discuter tranquillement. Dans cette cacophonie, si nous parvenons à montrer, à l’étranger, une France rassemblée, déterminée à aller de l’avant, alors nous pourrons garder l’espoir. »
LE DIVORCE AVEC HOLLANDE
Aller de l’avant? En oubliant les dernières semaines au gouvernement. Ses escarmouches permanentes et rugueuses avec l’impétueux et agaçant « petit génie » de Bercy. Le divorce avec François Hollande, empêtré dans le scandale du livre « Un président ne devrait pas dire ça… ». « Ce bouquin, je l’ai lu d’une traite au Canada, après ma rencontre avec Justin Trudeau. J’étais choqué. A mon retour, nous avons eu plusieurs tête-à-tête au cours desquels je lui ai conseillé de s’exprimer publiquement, de profiter de cette affaire pour parler au peuple. Sans succès. Je lui ai aussi conseillé de déclarer sa candidature, malgré son impopularité, malgré les obstacles. J’ai attendu, attendu… » Après le renoncement du président, à la fin de l’année 2016, Manuel Valls se souvient de ses hésitations à aller au combat. Il s’était programmé pour 2022. Pas pour cette primaire à haut risque qu’il jugeait mortelle pour lui. Jamais un Premier ministre sortant n’a survécu à une pareille confrontation. Il le savait. « En fait, souligne un de ses lieutenants, il pensait la partie perdue d’avance et envisageait même d’être éliminé dès le premier tour. Son obsession, alors, était de ne pas laisser le PS entre les mains de Benoît Hamon ou d’Arnaud Montebourg. Pour cela, pour les militants, il fallait être présent dans la bataille, essentiellement pour l’avenir. Eviter la corbynisation du Parti socialiste. Quand il a compris, après la victoire de Benoît Hamon, que ce dernier, en consacrant son temps à négocier avec Jadot et Mélenchon, tournait le dos à la majorité du PS, Manuel a décidé de sortir de sa réserve. » Après la défaite, il avait pourtant imaginé un autre scénario, plus « pépère », plus reposant : se faire oublier, prendre du champ, entamer une petite traversée du désert, jusqu’aux législatives où il se présente, dans son fief d’Evry. On l’avait aperçu, en compagnie de ses fils, à Madrid, au Prado, au Musée Thyssen, au Reina Sofía, ou en visite au palais de l’Escurial, l’imposante forteresse où repose Charles Quint, dans les environs de la capitale espagnole. Il avait entraîné sa progéniture jusqu’à Séville, puis Cordoue, puis au stade du Camp Nou, assister à la déroute du PSG face à son équipe fétiche, le Barça. Lui aussi, un jour, aurait sa remontada. Mais d’abord, il avait besoin de se ressourcer. Le Catalan retrouvait ses racines et sa condition physique. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’étais pas du tout déprimé après la primaire. J’étais juste cuit physiquement, comme sorti d’un marathon. » Durant cette période d’abstinence médiatique, Manuel Valls lit beaucoup, des livres en langue castillane, comme « Patria », de Fernando Aramburu, la saga d’une famille basque, près de Saint-Sébastien, déchirée par le terrorisme d’ETA, une biographie du personnage clé de la transition espagnole, le Premier ministre Adolfo Suárez, l’homme du « pacte national » de l’Espagne postfranquiste, écrite par un journaliste communiste, Gregorio Morán. Il dévore également « Napoléon et de Gaulle. Deux héros français » de Patrice Gueniffey (1), un ouvrage qui met en lumière la figure de « sauveurs » de la France de ces deux géants de l’histoire. Manuel Valls sera-t-il, lui, le sauveur… de la gauche, si mal en point? « Durant cette période, précise-t-il, mes amis m’interpellent et me disent : “Tu ne peux pas faire le mort. Tu ne peux pas être absent du débat. Le pôle réformiste ne doit pas rester les bras ballants, à encaisser les coups sans broncher.” D’où l’annonce de mon refus de parrainage pour Benoît Hamon. J’assume mon désaccord avec lui, avec Martine Aubry ou Anne Hidalgo. Quand certains de leurs amis ciblent Emmanuel Macron et le traitent d’hologramme de Fillon, je ne peux pas laisser faire. »
UNE NÉCESSAIRE RECOMPOSITION
En revenant sur sa parole, son soutien annoncé au vainqueur de la primaire, Manuel Valls sait qu’il va heurter, irriter, cliver. Il voulait revenir en grand rassembleur ? Il divise son propre camp. Certains de ses proches l’ont pourtant prévenu qu’ils resteraient fidèles au candidat désigné par la primaire de la gauche, que leur électorat ne comprendrait pas leur ralliement à Emmanuel Macron, que le concept du vote utile ne passait pas dans leur circonscription. « Je leur ai dit que je comprenais les attentes territoriales, confie Manuel Valls, qu’ils étaient des hommes et des femmes libres. Que je respectais leur choix. Mais, après l’élection présidentielle, personne ne pourra échapper au débat sur la recomposition, non seulement de la gauche, mais de tout l’échiquier politique. Nous sommes devant un chantier colossal, il ne faut pas se tromper. Ce n’est pas seulement le PS qui est en danger, mais la cohésion du pays. »
Il y a quelques jours, au cours d’une visite au Musée Maillol, à Paris, qui consacre une exposition à Paul Rosenberg, le grand collectionneur d’art contemporain, Manuel Valls croise Lionel Jospin, son mentor, celui qu’il a accompagné à Matignon, de 1997 à 2002, au poste de directeur de la communication. Devant quelques chefs-d’oeuvre de Picasso, Matisse ou Braque, les deux hommes ont-ils devisé sur la décomposition de la gauche? Du temps béni des congrès décisifs, avant l’invention des primaires, au cours desquels les différentes écuries du PS finissaient par trouver un consensus, après des nuits de palabres enfumées ? Un si lointain souvenir. Ou bien ont-ils seulement évoqué les mystères de la peinture ? De cet art miraculeux qui marie les couleurs sans les faire disparaître?
“L’OBSESSION DE MANUEL VALLS ÉTAIT DE NE PAS LAISSER LE PS ENTRE LES MAINS DE BENOÎT HAMON OU D’ARNAUD MONTEBOURG” UN LIEUTENANT DE L’EX-PREMIER MINISTRE