La gauche doit défendre les opprimés Un plaidoyer de l’historien André Burguière
Sortant de sa discipline, l’historien André Burguière plaide pour le retour de la gauche à sa véritable mission : le soutien aux laissés-pour-compte
La gauche va-t-elle disparaître ? C’est la question que nombre d’électeurs se posent au terme d’un quinquennat qui a brouillé les repères, la question qui agite une partie de cette campagne présidentielle si déroutante. L’historien André Bruguière (qui collabore aux pages Livres de « l’Obs ») donne sa réponse dans un livre résolument optimiste et volontairement subjectif. « Ma réflexion est celle d’un homme qui considère la gauche comme sa patrie », prévient-il d’emblée. Il est de gauche, de celle « de Jean Jaurès, de Léon Blum, d’Olof Palme et de Nelson Mandela », reconnaît avoir été militant, mais ne plus l’être. Et c’est cette richesse qui nourrit son regard.
En 310 pages, André Bruguière rédige un manuel finalement joyeux, un livre à mettre dans toutes les mains aujourd’hui déboussolées. Le propos qui court tout au long de l’ouvrage est simple : pour éviter sa disparition, la gauche doit revenir à ses valeurs fondatrices « qui pourront demain provoquer son réveil », celles qui « n’accordent pas la priorité à la croissance économique ou à la modernisation, mais à la justice et à la défense inconditionnelle des droits humains ». Retour aux fondements de la pensée de ce camp pour éviter ses funérailles en somme. Pour Burguière, l’esprit de la gauche, c’est « le refus de se résigner à ce que l’on appelle l’ordre naturel ».
La gauche s’est endormie, a cessé d’être elle-même, a eu honte de son histoire, s’est « éclipsée », a laissé la droite devenir fière d’elle-même. Elle doit désormais retrouver son essence. L’historien est sévère avec le quinquennat « du président François Hollande et de la brochette d’énarques qui l’entourent, y compris son challenger, Emmanuel Macron ». Il est même cruel : « Faute d’avoir réussi un traitement économique du chômage, les socialistes français tentent un traitement psychologique de l’embauche. » Mais, à rebours de la noirceur ambiante, il donne des raisons d’espérer. « La gauche doit prendre la tête de la rupture et favoriser l’éclosion d’un monde nouveau. » Mêlant éclairages historiques français et internationaux, témoignages personnels et réflexions politiques, il esquisse à certains moments un programme.
Un programme qui ne laisserait pas la politique aux seules mains des « professionnels ». « La gauche, si elle veut se définir face à la droite par une conception exigeante de la démocratie, ne devrait pas se résigner à considérer la politique comme un métier, comme le savoir-faire professionnel et l’activité de quelques-uns alors qu’elle doit être le souci et la décision de tous. » L’auteur s’élève contre le cumul des mandats (en nombre et dans le temps, en le limitant à deux mandats consécutifs), plaide pour le recours au référendum et au tirage au sort « que les démocraties grecques antiques, hostiles à la représentation politique, utilisaient pour choisir les magistrats importants, toujours désignés pour des mandatures courtes ». « La gauche ne peut se satisfaire du monarchisme actuel », il est temps de donner plus de pouvoirs aux Assemblées.
De même, l’école doit former des individus et non produire une élite. L’historien appelle donc à un « plan Marshall » pour les écoles primaires et les collèges et à la « généralisation des classes de prépa », les substituant aux Deug. Résolument européen, il voit dans l’Union européenne « le seul avenir de la gauche ». Contre le « souverainisme de gauche » qu’il résume en « une voie sans issue ou un marchepied pour l’extrême-droite » et contre le « repli identitaire », il ne se reconnaît pas dans le retour à l’idée de nation comme boussole de la gauche. Il propose une refondation de l’Europe et l’élection au suffrage universel d’un président de l’Union.
Enfin, à mille lieues de la « France moisie » que dénonçait Philippe Sollers il y a près de vingt ans, André Burguière plaide pour l’accueil des réfugiés et la défense de l’immigration. Pour lui, « la gauche doit donc rechercher le soutien des laissés-pour-compte et des dominés en prenant en charge leurs aspirations ». Pour ne pas disparaître, la gauche doit assumer ce qu’elle a toujours été. CQFD.