L'Obs

Passé/présent Le retour de la IVe République ?

De 1947 à 1958, des coalitions ont gouverné au centre pour échapper aux extrêmes. C’est le pari que propose Emmanuel Macron…

- Par FRANÇOIS REYNAERT

D ’un côté de la scène politique, un parti puissant, le « premier de France » en termes d’électeurs, mais aussi trop terrifiant aux yeux de la majeure partie de la population pour espérer former les alliances lui permettant de gouverner. De l’autre, des tribuns à voix forte pilonnant les renoncemen­ts supposés des partis de gouverneme­nt. Au centre, une coalition hétéroclit­e tentant de défendre réformisme social et conviction­s européenne­s. Ça vous rappelle quelque chose ?

Depuis qu’Emmanuel Macron fait la course en tête dans les sondages, la presse s’ingénie à lui trouver des antécédent­s historique­s. Le plus fréquemmen­t cité est Jean Lecanuet, devenu célèbre pour ses 18% à la présidenti­elle de 1965. En termes de programme – modernité et conviction­s européenne­s – il y a des convergenc­es. La configurat­ion générale diffère. Comme tous les centristes sous la Ve, Lecanuet, écrasé par la bipolarisa­tion de la vie politique, a fini en force d’appoint de la droite. Emmanuel Macron fait le pari que, entre un camp conservate­ur étouffé par un énorme FN et une gauche éclatée en deux camps, ce bipartisme ne tient plus et que le moment est venu d’un grand mouvement centriste. Il n’est pas inutile de nous souvenir qu’il a existé, pour les mêmes raisons, au temps de la IVe République.

Le gouverneme­nt qui se met en place à l’été 1944 fédère, sous la direction du général de Gaulle, l’ensemble des partis issus de la Résistance. On y retrouve donc les communiste­s, les socialiste­s de la SFIO, les démocrates-chrétiens qui viennent de fonder le MRP (Mouvement des Républicai­ns populaires) et quelques radicaux, tout au moins ceux qui n’ont pas été compromis pendant l’Occupation. Ce bel ensemble dure peu. De Gaulle, furieux contre la Constituti­on trop parlementa­riste qui se prépare, est le premier à claquer la porte du pouvoir, en janvier 1946. La brève période de « tripartism­e » qui succède alors (PC, SFIO et MRP) se brise sur les premiers barbelés de la guerre froide : en mai 1947, le socialiste Ramadier renvoie de son cabinet

les ministres communiste­s, trop inféodés à Moscou pour être dignes de confiance. Reste donc, pour gérer le pouvoir, un rassemblem­ent des modérés, radicaux, démocrates-chrétiens et socialiste­s. Sous des noms divers, « Troisième Force » jusqu’en 1951, « Front républicai­n » lors des élections de 1956, elle domine le régime, jusqu’à sa chute en 1958.

Tout ne peut être comparé entre la France d’alors et celle d’aujourd’hui. Le brûlant dossier qui consume la première, ce sont les guerres coloniales – Indochine d’abord, puis Algérie –, un fléau dont nous sommes heureuseme­nt débarrassé­s. Les acteurs ont aussi changé. Le « premier parti de France » cité plus haut n’est pas alors le Front national, mais le Parti communiste, dont le corpus idéologiqu­e est évidemment différent. Il ne faut pas oublier pour autant le dogmatisme d’un mouvement alors aveuglé par son stalinisme. De l’autre côté de la scène, on trouve d’abord le RPF (Rassemblem­ent du Peuple français), fondé en 1947 pour préparer le retour de De Gaulle qui doit être imminent, et n’arrive jamais. Tandis que le Général s’enferme dans sa traversée du désert en prédisant la fin d’une France forcément perdue puisqu’elle ne veut plus de lui, les gaullistes entrent peu à peu dans le système. A partir de 1953 éclate l’ orage pou jadis te, du nom de Pierre Pou jade, un papetier en révolte contre le fisc. Son programme–xénophobe, antisémite, antiparlem en taris te, protection­niste et chauvin–n’ est pas sans rappeler celui de Marine Le Pen aujourd’hui. Il est vrai que le père de celle-ci était l’un des plus bruyants des élus poujadiste­s qui firent leur entrée au Parlement en 1956.

Vaille que vaille, le pays est donc gouverné par l’union des chrétiens sociaux aux socialiste­s et n’est pas sans rappeler celle à laquelle aspire aujourd’hui Emmanuel Macron. A cause de son effondreme­nt piteux lors de la crise algérienne de 1958, la IVe est si discrédité­e que cette évocation paraîtra ravageuse. L’est-elle tant que cela ? Le régime passe pour faible, ce qui fut souvent le cas. Les coalitions, mal ficelées, poussent à l’immobilism­e par incapacité de trancher, et ne résistent pas au premier différend sérieux, comme en 1951, quand la question scolaire crée un schisme entre le MRP, favorable à l’école privée, et les socialiste­s, faroucheme­nt laïcs. Nombre de personnage­s qui représente­nt l’époque n’ont rien qui fasse rêver : l’un des dignitaire­s du temps, le radical Henri Queuille (1884-1970), n’est-il pas resté célèbre pour cette citation d’anthologie : « Il n’est pas de problème si grave en politique qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. » Pourquoi oublier l’ a vers moins sombre de la médaille. Ces années sont aussi celles de l’ancrage dans le réel des conquêtes sociales de la Libération, des premiers grands traités européens. Elles ont aussi leur homme d’État, le radical Pierre Mendès France (1907-1982). Investi en juin 1954 par une coalition disparate, il est renversé sept mois plus tard par une autre coalition et tombe, victime de l’instabilit­é congénital­e d’un régime trop caricatura­lement parlementa­ire pour être viable. Qui nous dit ce qu’il eût fait avec les institutio­ns plus solides qui sont les nôtres ?

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Juin 1946 Affiches électorale­s du MRP pour les législativ­es du 2 juin. Emmené par Georges Bidault, ce parti remportera 28% des suffrages et 166 sièges sur 586.
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Mai 2017 Avec En Marche !, Emmanuel Macron a formé une coalition hétéroclit­e tentant de défendre réformisme social et conviction­s européenne­s.

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