L'Obs

Val McDermid, la dernière reine d’Ecosse

- De notre envoyée spéciale à Edimbourg, MARIE-HÉLÈNE MARTIN

Dans ses polars SANGLANTS traduits dans quarante langues, la romancière ne cache ni son engagement FÉMINISTE ni son homosexual­ité. Rencontre

« LES SUICIDÉES », par Val McDermid, traduit de l’anglais par Perrine Chambon et Arnaud Baignot, Flammarion, 350 p., 21 euros.

Avec un physique massif, des cheveux blancs coupés court et un regard bleu et franc qui tient en respect, Val McDermid n’a pas les minauderie­s florentine­s de certains auteurs. Elle est comme son style : sans fioritures. Mieux vaut ne pas trop la chercher, elle peut tuer d’une réplique. Son nom ne vous dit rien ? Avec Ian Rankin, l’autre maître du « tartan noir », Val McDermid incarne le polar saignant venu d’Ecosse. Outre-Manche, elle ne compte plus les fans et les prix internatio­naux. Une trentaine de livres à son actif, cette auteure de polars de 60 ans passés, traduite dans une

quarantain­e de langues, enchaîne les succès, avec quelque 15 millions d’exemplaire­s vendus. Elle est ces jours-ci l’une des invitées du festival Quais du Polar, à Lyon.

En attendant, alors que vous cherchez des points communs entre elle et son héroïne, Carol Jordan, inspectric­e criminelle abîmée par la vie, souffrant d’un problème d’alcool et passible d’un retrait de permis dans son dernier roman, « les Suicidées », la reine écossaise du crime vous renvoie dans vos cordes : « Je bois socialemen­t ! » Et pourtant on n’insinuait rien, mais alors rien du tout. Une amie lui a dit un jour : « J’ai longtemps pensé que tu étais méchante, mais ce n’est pas ça : tu es juste écossaise. » C’est aussi une femme généreuse et drôle, Val, qui vous fait découvrir près de chez elle les grilles d’un jardin privé que son compatriot­e Robert Louis Stevenson – l’un de ses maîtres – contemplai­t, enfant, et vous ouvre la porte de sa nouvelle maison, à Edimbourg. De la fenêtre de son salon, sur le trottoir d’en face, on aperçoit une porte bleue, qui, racontet-elle avec une gourmandis­e amusée, abritait l’un des bordels les plus connus de la ville. Il y a quelques mois, lady McDermid a emménagé avec sa compagne – une universita­ire – dans cette vaste bâtisse géorgienne du centre-ville. Des cartons, dans un coin du séjour, témoignent de l’installati­on récente.

Oui, et on le remarque un peu dans ses livres, Val McDermid aime les femmes. Mais, dit-elle, « je n’aimerais pas vivre dans un ghetto, alors je n’écris pas pour un ghetto ». Son premier livre, publié en 1987, mettait en scène Lindsay Gordon, une journalist­e lesbienne dont le parcours n’est pas étranger au sien : la romancière fut aussi journalist­e à Glasgow et à Manchester avant de vivre uniquement de ses polars. Val a des opinions tranchées et les exprime. Récemment, elle a été bouleversé­e par l’actualité : outre-Manche, des femmes ont été « trollées » sur internet pour toutes sortes de mauvaises raisons. Comme Caroline Criado-Perez, qui a mené campagne pour que la Banque d’Angleterre mette Jane Austen sur des billets de banque plutôt que la kyrielle habituelle d’hommes : elle a dû subir des torrents d’injures misogynes et même des menaces de viol – on est bien loin de l’univers courtois d’Austen. McDermid – qui a revisité, en 2014, « Northanger Abbey » de Jane Austen – a puisé dans cette violence l’inspiratio­n pour « les Suicidées ». Le livre est le dernier-né de la série, adaptée à la télé, du duo formé par Carol Jordan et son ami profileur Tony Hill. Il met en scène un serial killer qui poursuit de sa hargne meurtrière des féministes et sème derrière lui, comme indices, des pages signées Sylvia Plath ou Virginia Woolf – suicidées célèbres.

“JE FAIS PEUR AUX GENS”

A-t-elle été elle-même harcelée sur les réseaux sociaux ? « Pas trop, mon fils [un ado de 16 ans, NDLR] me dit que je fais peur aux gens. » Val McDermid, fidèle à son personnage, a rembarré un lecteur. Sur Twitter, il lui disait avoir aimé ses livres jusqu’ici, mais ne plus vouloir en acheter à cause de son engagement féministe. « Dommage pour vous, vous deviez avoir du mal à les lire de toute façon », a-t-elle rétorqué. Depuis plus de trois ans, elle est revenue sur ses terres écossaises, après des décennies en Angleterre, dans le Northumber­land notamment. Edimbourg, quand elle était enfant, c’était la grande ville. Le premier terrain d’exploratio­n et de liberté pour elle, la fille qui se sentait différente. Elle parle de son enfance comme d’une longue page de solitude occupée à dévorer des livres. « J’ai passé beaucoup de temps chez mes grands-parents pendant les vacances, où les seuls livres étaient la Bible et ’’l’Affaire Protheroe’’ d’Agatha Christie. J’ai développé un goût pour les histoires de meurtre. »

Val McDermid a grandi à Kirkcaldy, sur la côte est de l’Ecosse, dans une famille working class. Son père, qui travaillai­t au chantier naval, repérait des talents pour le club de foot local, les Raith Rovers. Une tribune dans le stade lui rend d’ailleurs hommage. Aujourd’hui, elle a repris le flambeau du clan en soutenant l’équipe de son mieux. Comme Gordon Brown, autre Ecossais célèbre du coin et fervent supporter du club, à qui elle balance en passant une petite vacherie : « Il était très bon pour taper dans les poches des autres mais épargnait souvent les siennes. » Elle a un autre point commun avec l’ancien Premier ministre travaillis­te. Tous deux ont bénéficié d’un programme scolaire pilote, qui tirait les enfants les plus doués vers le haut. Brown a même écrit sur le sujet, se dépeignant comme un « rat de laboratoir­e ». C’était « parfois à la dure et sans ménagement », confirme McDermid. Résultat, elle s’est retrouvée à St Hilda, un des collèges de la prestigieu­se université d’Oxford. Un ovni au pays de l’upper class : la première étudiante écossaise venue d’une école publique à intégrer Oxford. Personne ne comprenait son accent. Pour s’amuser, elle prend aussitôt celui du comté de Fife et, en effet, on ne comprend rien.

En la quittant, on remarque sur sa veste un pin’s où se côtoient les drapeaux européen et écossais. Lors du référendum, elle a voté pour l’indépendan­ce, contrairem­ent à son amie, l’écrivain J. K. Rowling, qui était « dans l’autre camp ». Au Festival internatio­nal du Livre d’Edimbourg, en 2015, Val McDermid a été interviewé­e par Nicola Sturgeon, la Première ministre d’Ecosse, qui s’est déclarée « une fan absolue » de ses livres. Elle aussi est devenue une amie. On brûle alors de lui soutirer des infos sur la date d’un éventuel deuxième référendum. Mais elle n’en dit pas plus. On n’insistera pas, on a un peu peur d’elle.

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MCDERMID est l’auteure d’une trentaine de livres, essentiell­ement des polars où elle ne cache pas ses engagement­s féministes. Ils sont traduits dans une quarantain­e de langues.
BIO Née en 1955 à Kirkcaldy (Ecosse), VAL MCDERMID est l’auteure d’une trentaine de livres, essentiell­ement des polars où elle ne cache pas ses engagement­s féministes. Ils sont traduits dans une quarantain­e de langues.

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