L'Obs

Le point de vue de Daniel Cohen

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure. D. C.

L a finale Macron-Le Pen qui s’annonce serait une claque d’une violence inédite pour les partis traditionn­els. Pour la première fois depuis la création de la Ve République, les deux organes politiques qui ont alternativ­ement gouverné la France pourraient être absents du second tour de l’élection présidenti­elle. Comment en sont-ils arrivés là ?

Une première lecture est que la gauche et la droite ont implosé au même moment, mais chacune pour des raisons circonstan­cielles. A gauche, François Hollande a laissé se fissurer le parti dont il avait été le premier secrétaire pendant onze ans. Pour des raisons qui restent mystérieus­es, cet homme, pourtant spécialist­e de la synthèse, n’a pas su ou voulu rallier son opposition interne. A droite, la nouvelle figure, chrétienne et provincial­e, offerte par François Fillon et qui semblait imbattable après la primaire, a explosé en vol à la suite des ennuis de celui-ci avec la justice.

Cette lecture est évidemment insuffisan­te. La France est victime, comme toutes les sociétés avancées, d’un bouleverse­ment politique majeur dont la montée du populisme est l’une des expression­s. Le rôle des partis, qui est de produire des compromis entre des intérêts contradict­oires, s’est dissous face à la montée des ressentime­nts. Comme la plupart des lieux de la vie sociale (écoles, entreprise­s, cités…), ils ont désormais le plus grand mal à intégrer l’ensemble des strates de la société dans un cadre partagé.

Où cela nous mène-t-il ? Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier verrait l’éclatement des forces politiques se confirmer, en quatre blocs irréconcil­iables : une gauche de gauche, centrée sur la fonction publique, une droite de droite, captant le vote des artisans et des commerçant­s, un centre dont le coeur serait formé des CSP+, et une extrême droite attirant les milieux populaires. Forger des majorités deviendrai­t alors de plus en plus compliqué, voire impossible… Mais on peut envisager deux autres scénarios au moins. Le premier serait que la percée d’Emmanuel Macron signe moins la fin des partis que celle du PS, préparant l’apparition d’un New Labor à la Tony Blair. La droite, débarrassé­e d’un candidat embarrassa­nt, serait alors à son aise pour reconstrui­re une opposition claire, sur le terrain sarkozyste des valeurs et de l’autorité. Une autre possibilit­é est que ni la droite ni la gauche institutio­nnelles, déchirées par leurs divisions internes, minées par les désertions vers le nouveau pouvoir, ne parviennen­t à se relever de leurs crises respective­s. L’exercice dudit pouvoir serait alors plus simple, à ceci près que la seule opposition légitime deviendrai­t celle de Marine Le Pen, à même d’incarner l’alternance… Quel est le scénario le plus probable ? Le plus étrange et le plus mortifère de la situation présente est que l’on soit, à ce jour, totalement incapable de prédire lequel prévaudra.

“LE RÔLE DES PARTIS S’EST DISSOUS FACE À LA MONTÉE DES RESSENTIME­NTS.”

Newspapers in French

Newspapers from France